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Critiques de livres


Gérald THOMAS et Bernard WUILLAUME
Paradis retrouvé.
Editions Mois
1997
192 p.

Anticipations

Au   carrefour   de   Courteline   et d'Ubu, le royaume de Belgique in­vite à l'apologue et à la farce. Les auteurs ont presque la part trop belle. Tour à tour sinistre et bouffonne, comme l'actua­lité l'a prouvé depuis vingt ans et continue de le faire, c'est la réalité même qui prend quotidiennement des airs de parodie clochemerlesque. Une légère exagération suffit à la faire accéder au domaine de la fable. Ainsi procèdent les auteurs de Paradis re­trouvé en imaginant une ancienne princi­pauté située à la périphérie de Bruxelles, dont les habitants découvrent avec stupéfac­tion qu'aux termes de traités ancestraux, leur communauté n'a jamais cessé d'être indépen­dante. Las de vivre dans un Etat miné par le clientélisme, la bureau-, la pluto- et la parti-cratie, ils vont faire sécession et mener contre la police et l'armée du royaume une guérilla urbaine aussi guignolesque qu'efficace.


Jacques NEIRYNCK avec la collaboration d'Alex Décotte
Les Cendres de Superphénix.
Desclée de Brouwer
1997
255 p.

Si le point de départ est plaisant, son déve­loppement appelle de sérieuses réserves. Empreinte de mysticisme vague et de reli­giosité new âge, dérapant ça et là vers la re­marque poujadiste ou douteuse (une allu­sion à la non-affaire Di Rupo nous a paru particulièrement déplacée), émaillée pour ne rien arranger de coquilles et de fautes de français, l'utopie de Paradis retrouvé est une restauration. Elle plaide pour un retour au despotisme éclairé et au droit régalien. Sa révolution, aussi légitime qu'on voudra, reste le fait du Prince et de son entourage. Gérald Thomas et Bernard Wuillaume ne manquent pas une occasion d'en appeller au « sursaut moral » de la marche blanche et à la soif de changement politique dont celle-ci témoignait. Est-ce vraiment là le renou­veau qu'ils appellent de leurs vœux ?

Bien plus exaltante était la commune libre de   Bruxelles   qu'inventait   l'an   dernier Jacques Neirynck dans un roman de poli­tique-fiction d'une tout autre envergure, Le Siège de Bruxelles. Ingénieur de formation, Neirynck croit à la capacité de la fiction d'investiguer le réel et le possible par le biais de l'anticipation à court terme. Après avoir sondé les contradictions belges et les insuffisances de l'Europe, il s'en prend, dans Les Cendres de Superphénix, au danger nucléaire et à la religion du progrès-à-tout-prix en imaginant un nouveau Tchernobyl au cœur de l'Europe de l'Ouest. Dans un avenir très rapproché, un tremblement de terre provoque l'explosion de la centrale de Creys-Malville. Le nuage radioactif conta­mine le sud-est de la France et la Suisse ro­mande, provoquant la panique et l'exode des populations tout en mettant cruelle­ment en lumière l'impuissance des techni­ciens et des politiques. Solidement documenté, ce scénario-catas­trophe fait d'autant plus froid dans le dos qu'il est terriblement plausible et que sa thèse est parfaitement intégrée à un sus­pense qui la propulse et la dynamise. La vi­gueur avec laquelle Neirynck pourfend les apprentis-sorciers de l'atome, le cynisme médiatique, le technocratisme obtus et la promotion par l'incompétence est d'autant plus convaincante qu'il maîtrise parfaite­ment son sujet et sait se garder, au contraire de Thomas et Wuillaume, de la démagogie, du manichéisme et des solutions simplistes. Après cet éloge mérité, dira-t-on une légère insatisfaction devant cette conception utili­taire du roman ? La fable du  Siège de Bruxelles enveloppait un enjeu moral sinon métaphysique, dont on pouvait discuter les termes mais qui avait le mérite d'exister : la fiction était porteuse d'une vérité propre, irréductible à un « message » — quelle que soit la pertinence de celui-ci. Cet arrière-plan fait défaut aux Cendres de Superphénix. Caractérisés avec force, les personnages res­tent unidimensionnels. Ils n'ont guère d'existence propre en dehors de la fonction que leur assignent les besoins de la démons­tration. L'art du roman demeure ici subor­donné à une rhétorique de la persuasion. On peut le regretter. Jacques Neirynck est un écrivain suffisamment talentueux pour qu'on attende de lui un peu plus que l'ap­plication d'un savoir-faire imparable, d'une technique efficace de la narration, fût-ce au service des meilleures causes. C'est tout à son honneur.

Thierry Horguelin