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Critiques de livres

Ah ! Non ! C’est un peu court...

L’avertissement magrittien est préve­nant : « Ceci n'est pas un livre. » (Pas étonnant : il n'y a pas d'auteur non plus.) On en convient rapidement pour ce qui concerne 250 pages sur 300. Elles s'ouvrent sur un « dictionnaire des idées re­çues ». Hélas, n'est pas Flaubert qui veut ! L'écriture ici pratiquée tient de la pâte de guimauve, quand ce devrait être mené à la cravache ! Lourdeur : « Bilinguisme. Les Belges ont deux langues [...], d'où l'épais­seur de leur palais. » Plagiat flaubertien Blondes-Brunes »), que les indulgents di­ront « clin d'œil », les savants, « intertexte ». Citation éculée mais tronquée : on retient de La Guerre des Gaules « Les plus braves de tous ces peuples sont les Belges » et on oc­culte la suite, qui aurait pourtant servi les intentions de l'auteur (anonyme), Jeu de mots laid (je pille Boby Lapointe) : « Kriek. Bière auto-remontante. » A rapprocher du consternant « échange à la Knock (le zout, car il ne manque pas de sel...) » A vot' bon cœur, M'sieu Chrirac : « Politiciens. En Belgique, ils paraissent maladroits mais sont habiles. En France, c'est le contraire. » Déli­cieusement vachard (c'est rare !) : « Zwin. Réserve d'oiseaux rares. Métonymie de la Belgique. »

Suivent 200 pages de citations : les préten­dues absurdités proférées par les écrivains français sur la Belgique. Baudelaire est évi­demment le plus copieusement cité, mais nous avions lu ça grâce à l'édition procurée par un Belge, André Guyaux : La Belgique déshabillée. Les vastes lectures de l'auteur (anonyme) convoquent aussi Voltaire ; Oc­tave Mirbeau qui se fourre le doigt dans l'œil en moquant un accent belge qui n'existe pas (mais bien les accents picard, carolo, namurois, verviétois, etc !) ; Hugo évoquant les délicats plaisirs des curistes spadois : « prendre un porc, lui graisser la queue et parier à qui la tiendra le plus long­temps dans ses mains » ; J.-K. Huysmans décrivant les buveurs de la Grand-Place : « Des crânes de magots chauves, des groins en désarroi, des pifs bossues de verrues à pe­luches... » Jusqu'à Proust raillant le rire à contretemps du seul Belge reçu chez les Guermantes !

Restent 50 pages : « L'annexion de la France à la Belgique ». Poussives, délayées, bâclées, outrancières (le genre veut ça ? Mais le genre veut une plume !), très petit-bout-de-la-lorgnette. Nous savons que nos écrivains ne sont ni géniaux ni incontes­tables, mais comment ne pas en dire autant des français ? De Duras, par exemple, aussi à l'aise en écriture qu'un pingouin au Sa­hara ! Mais on peut aligner, en face des mal­heureux ici brocardés (le paillasson puant, le tantrisme de la miction debout, les défé­cations représentatives du moi chez Savitzkaya — mais les Français Jude Stefan, Pierre Guyotat sont aussi peu ragoûtants), des écrivains estimables, et pas anonymes : Simon Leys, Raoul Vaneigem, Christian Hubin, Marcel Moreau, Jean-Claude Pirotte. Et enfin ça me gêne, ces coquilles qui poussent à croire que l'auteur (anonyme) connaît mal son français : hypothénuse ! Conclue pour conclut !

Pol Charles

1. « parce qu'ils sont les plus éloignés de la civili­sation... »

Anonyme, Paris-Bruxelles L'annexion, Le Cri édition, 1997, 336 p.