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Critiques de livres


Olivier de VLEESCHOUWER
Pédalo
Grasset
2000
206 p.

Désir, désir

Comme Christophe Honoré ou Guil­laume Le Touze, Olivier de Vleeschouwer fait partie de ces roman­ciers qui mènent une double carrière : une dans la littérature pour adulte ; l'autre dans celle pour la jeunesse (entendons : destinée aux enfants et aux adolescents de maximum 14-15 ans — on vieillit tôt dans l'édition !). Et qui, lorsqu'ils écrivent pour les grands, consacrent une part de leur travail à l'explo­ration du monde pré-adulte. Sans tricherie, sans idéalisation : l'enfant, comme son aîné a une vie intérieure peuplée de fantasmes, oui, de fantasmes, même sexuels. Sa morale, par contre, est franchement différente : la société n'y a pas encore posé toutes les li­mites de ce qu'elle définit comme le bien et le mal.
Le narrateur de Pédalo, le dixième livre1 d'Olivier de Vleeschouwer s'appelle Tho­mas. C'est un enfant comme tous les autres. Sauf qu'il a perdu son père. Perdu, signifie, bien entendu, mort. En employant cet eu­phémisme, on présente les choses comme la mère le fait quand elle affirme au garçon que son père est parti, qu'il est décédé parce qu'il était trop fatigué. Thomas, comme beaucoup d'enfants, apprend donc le monde avec des demi-vérités. Qu'il rectifie à sa manière, dans d'autres occasions : « Julie aussi a été mariée. Mais son mari est parti. Parti pour de bon, lui au moins. Pas parti pour mourir. Parti pour aller vivre une vie sans Julie. » Presque tout le livre est ainsi rédigé du point de vue de Thomas. Et l'on y croit. Même si, on s'en rend compte, certaines phrases sont trop bien balancées et certaines pensées trop élaborées pour quelqu'un de son âge. Mais il suffit de jouer le jeu, d'accepter les conventions, de prendre les effets de réel pour le réel (d'ac­cepter les principes de littérature, en somme) pour que ce roman sur la vie inté­rieure enfantine dégage toute sa saveur et sa finesse.
Orphelin de père, Thomas vit seul avec sa mère qui travaille chez un psychiatre, qui dévore des gâteaux en quantité astrono­mique. Qui reste sans amoureux, même si chaque printemps lui revient l'envie d'un homme. Un jour, un bus la renverse, le chauffeur la relève et l'affaire est dans le sac. Amour, amour. Thomas aura donc un beau-père, Karol. Tout se passe moins rapi­dement qu'en ce résumé, mais tout aussi bien, une complicité naît entre l'homme et le garçon. Au fil du récit pourtant, on sent un trouble poindre. Rien de mal, que dans la tête de l'adulte. Que de l'amour qui s'ins­talle, physique aussi et sans issue. Cela ira jusqu'au bout une fois. Une seule. Parce qu'après... On ne révélera pas la fin. Juste que le récit passe à la troisième personne du singulier et que c'en est fini pour Thomas des jeux, des « on fait semblant » qui ensei­gnent les sentiments et les blessures de la vie des grands. Non, il ne meurt pas...

Michel Zumkir

1. Difficile d'établir le nombre de livres qu'a écrits Olivier de Vleeschouwer, chacune de ses bibliographies en omet quelques-uns. Citons entre autres Cadet Roussette et surtout La vie des morts est épuisante, journal d'amour et de deuil.