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Critiques de livres

Réjane Peigny
M'écrire
Tellin
Éditions Traces de Vie
2006
92 p.

Poser son ombre et avancer
par Jeannine Paque
Le Carnet et les Instants n° 147

M'écrire, annonce fièrement Réjane Peigny, en première de couverture de son premier livre et au-dessus de sa photo en petite fille. Pour oser le je, elle commence à la troisième personne. Puis, pour s'entraîner, elle passe par le monologue intérieur, puis le dit à voix basse. Elle choisit de commencer par la liste, énonce des séries, se laisse bercer par la litanie, puis le flot s'emballe : elle se laisse alors emporter par l'enchaînement des mots, les associations, le vertige enfin de la phrase pour courir vers la perfection. Soudain la révélation : «Je peux écrire ce livre.» Voilà un pari contre l'adversité, contre le confort même, un pari sur soi, un engagement. Écrire, s'écrire, c'est se chercher et se trouver, se définir une identité. C'est une manière de crise qui à trente-quatre ans permet au sujet de tirer un trait définitif non sur la jeunesse mais sur l'immaturité et sur la dépendance. Oser s'avouer et le dire ici : je veux de la passion, du sexe, de l'égoïsme amoureux. Si l'écriture comblait d'abord un besoin, agissait comme une thérapie, une fois éprouvée, maîtrisée, elle devient besoin à son tour. À peine entrouvert l'univers prometteur et inquiétant des mots aspire et il devient indispensable d'y pénétrer tout à fait. Une double révélation cette fois : «J'écris, j'adore; je peux, je veux écrire.» La vie se mue en projet : elle l'a fait, elle continuera.

De la lecture à l'écriture, de l' écriture à la lecture, le va-et-vient dès lors sera constant. Et si ces activités sont le plus souvent solitaires, il se révèle possible de les partager, quand on veut vraiment communiquer, vivre avec d'autres la découverte de ce double bonheur, on se met à les initier à un parcours que l'on a appris à reconnaître, à maîtriser et l'on en tire pour soi aussi le plus grand des profits. C'est ainsi que cela se passe : «Accompagner de nombreuses personnes dans leur projet d'écriture me convient donc à merveille, conciliant mes envies de solitude et mon besoin de socialisation… Je les aide, et cela m'aide, moi qui comme nombre d'entre eux cherche ma place.»

Que «cela», l'écriture ou l'échange, devienne une accoutumance, cette dépendance reste bénéfique. Pourquoi écrire? Peu importe, selon Réjane Peigny. La question est plutôt de savoir pour quoi écrire? Elle en connaît la réponse : pour vivre! Ce qui chasse l'inquiétude fondamentale de ce visage enfantin de la couverture, si bouleversant : à cause de la peur du photographe ou du monde à l'entour? La réponse se trouve dans les mots d'aujourd'hui.

Ce texte est plein d'enseignements. Outre celui que l'auteure, sans le nommer, souhaite transmettre, il ouvre une réflexion sur les domaines essentiels de la vie, du rapport de l'un et de tous au monde. Reposant une fois de plus la question d'une liberté impossible, avec la conscience d'étranglements divers et imparables, il permet de rejeter sans faste toute illusion d'avenir assigné au seul hasard ou à la promesse euphorisante, par la mise en évidence de potentialités toutes simples ou à portée de rencontre.

La recette semble accessible, dans le récit de Réjane Peigny.