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Critiques de livres

Françoise Pirart
La Nuit de Sala
Paris
Arléa
Coll. "1er mille"
2006
147 pages

L'amour à mort
par Michel Zumkir
Le Carnet et les Instants n° 142

À écrire (à faire dire à un de ses personnages) : «A quoi ça sert, un livre qui ne vous prend pas le cœur, qui ne vous parle pas comme le ferait un bon ami?», Françoise Pirart ose risquer d'être moquée, ce qui arriverait si son roman n'était pas à la hauteur de la question (rhétorique). À chaque lecteur de se faire une idée pour ce nouveau livre, moins volumineux, moins picaresque que le précédent , le premier qu'elle publie chez un éditeur français, mais pour ma part, je peux dire qu'elle est parvenue à me faire perdre ma place de lecteur professionnel (la moitié du métier de critique; l'autre étant d'écrire à propos de/à partir de), et de me redonner celle qu'on ne cesse de rechercher, qu'on ne retrouve presque plus jamais quand on a cette fonction-là, celle du lecteur amateur (au sens noble du terme) qui éprouve plus qu'il n'analyse, qui ne met pas en branle, dès le livre entre les mains, la boîte à outils théoriques qui met le texte à distance et permet d'en dégager les sens, la poétique, les enjeux et je ne sais quoi encore. Parce que oui, dans La Nuit de Sala on entend des voix qui nous parlent tout doucement, amicalement. Celles des personnages qui ont connu les protagonistes de ce fait divers, celle du médecin qui a réalisé l'autopsie, celle du meurtrier aussi. Avec cette technique du roman polyphonique, Françoise Pirart varie les distances, multiplie les anecdotes, les sentiments, rend compte de la complexité des relations. On connaîtra autant la victime (Blanche, bourgeoise, promise au meilleur avenir, mais trop fissurée pour cela) que son assassin (Carl, garagiste, qui avait mis le plus de distance possible entre lui et elle – elle était revenue à la charge), que celui qui a été injustement soupçonné (Elizan, le coupable tout désigné, une sorte d'idiot du village, «un bébé vieillard»). On découvrira un village de Sicile aride avec ses croyances archaïques, une Belgique où l'affaire Dutroux s'est inscrite dans la mémoire collective.

Quand le roman commence, le crime appartient déjà au passé (il a eu lieu vingt-sept ans auparavant); un avocat est en train de quitter son bureau pour partir à la retraite, une feuille s'échappe d'un dossier – celui de ce crime passionnel, par noyade, en Sicile. Et les souvenirs de refaire surface. Mais comme on l'a compris, ce ne sont pas les propos de cet homme de loi l'on va lire, même si lui, comme les autres (ceux qui vont prendre la parole), est encore hanté par cette histoire où la lutte des classes s'inscrit, s'invite jusque dans les relations amoureuses, où la passion continue ses ravages, des ravages nés du même ventre que la littérature.