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Critiques de livres

Jean-Claude Pirotte
Un bruit ordinaire, suivi de Blues de la racaille
Paris
Éd. La Table Ronde
2006
133 p.

De l'or du temps à l'or du vin
par Francine Ghysen
Le Carnet et les Instants n° 146

Ouvrir un livre de Jean-Claude Pirotte, c'est se rendre à un intime rendez-vous avec l'humeur vagabonde et nostalgique, l'attente patiente des merveilles, la douceur déchirante des regrets, la musique entêtante du vent et du temps qui passe. Moins «un goût de cendre» (c'était le titre de son premier recueil) qu'un goût d'inachèvement.

En l'espace de quelques mois, il nous en arrive deux : Un bruit ordinaire, roman-poème, suivi de Blues de la racaille, et Expédition nocturne autour de ma cave. Nous devrions être comblés. D'où vient que notre plaisir n'est pas sans mélange? Que la mélodie de l'âme et des mots nous charme sans nous étreindre. Que la magie se dérobe.

Pourtant, tout est là : le talent de sentir, de deviner, de capter; la grâce d'écrire; la justesse et la fragilité; le jeu et l'émotion. Mais, ici ou là, cet écrivain-né cède à la facilité, lui qui s'en est toujours passionnément défié, et son style se fait alors un peu paresseux et bavard.

Jean-Claude Pirotte
Expédition nocturne autour de ma cave
Paris
Éd. Stock
coll. Écrivins
2006
96 p.

Dans Un bruit ordinaire, on reconnaît la musique aimée de Rutebeuf et de Villon, de Verlaine et d'Apollinaire, mais aussi celle de Georges Perros, si proche de Pirotte, et dont l'inoubliable Une vie ordinaire, cité en exergue, rôde entre ces pages. L'empreinte en creux de l'enfance, «des bonheurs non avenus / des jours qui n'ont pas été / des printemps dépossédés». Le son pur d'une confidence qui bat au cœur de l'épilogue : «je ne suis ni la pierre brute / ni la forme de la statue / je suis le souffle qui ne lutte / que pour dire les choses tues / ce qui m'enchante c'est ce bruit / (qui n'en est pas un) de la vie / cette source désemparée / qui défait la plainte d'Orphée.» Le sel de l'ironie raillant rageusement «tous ces pompeux imbéciles / ces faux Princes dont le pouvoir / n'aura consacré sur nos villes / et nos campagnes que le vil / négoce des bouchers du Mal».

La verve sarcastique explose, déborde dans un vengeur Blues de la racaille dont le rouge et le noir tranchent sur le bleu mauve qu'évoque plutôt ce poète du demi-jour, du temps précieux déjà en fuite, des secrets perdus, du désespoir feutré.

Dédié à la mémoire de Raymond Dumay, le récit Expédition nocturne autour de ma cave s'inscrit dans la collection «Écrivins», créée et dirigée chez Stock par Philippe Claudel, sous l'invocation de Baudelaire : «Le vin roule de l'or.» Il nous invite à la vibrante célébration «d'un plaisir immémorial et libérateur, celui du vin, du commerce familier, et de l'ivresse fraternelle». Inséparable de la connivence, la communion qui «se noue entre l'amateur et le flacon, mieux encore dans le partage du flacon entre amateurs».

Félicités menacées par les donneurs de leçons, les farouches zélateurs de la modération, de la sobriété, alors que, sachez- le, «C'est l'intempérance qui est une vertu»! Cette songerie autour d'une cave dont le trésor se révèle être «le vin jaune», distillant le «goût très fin d'éternel» cher à Jean Follain, accueille maints fantômes amis : Montaigne, Joseph Joubert, André Gide, Raymond Dumay… Et l'ombre dansante d'un jeune homme de vingt ans, parcourant chemins creux et collines, bois et vignes, à la recherche de la patrie rêvée. Peut-être le savait-il déjà : «Le vin, la littérature, la peinture, la musique, la philosophie même ne sont pas des ornements de la vie. Ils sont la vie même, qui n'est tissée que de confidences. Nous n'existons que dans l'à-peuprès, l'instable, le précaire et l'insoupçonnnable.»