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Critiques de livres

Jean-Claude Pirotte
Une adolescence en Gueldre
La Table ronde
Paris
2005
198 p.

Vie imaginaire
par Jack Keguenne
Le Carnet et les Instants n° 142

Depuis une vingtaine d'années, Jean-Claude Pirotte publie régulièrement le récit de ses errances. Errances contraintes ou errances voulues, Pirotte a fait de ses mouvements un genre à part entière dans lequel il continue d'exceller. Un genre, dis-je, car, à la nécessité de partir et à l'aventure aux semelles de vent des débuts, au(x) récit(s) d'exil d'une personne déplacée, a fait place un espace romanesque – «nos vies se déroulent dans un roman» – dans lequel littérature et réalité s'entremêlent, l'une à la recherche de l'autre; on pourrait dire que Pirotte tente avec la première de domestiquer la deuxième en lui donnant une seconde vie.

Aussi, s'il fait retour sur quelque événement de son passé, c'est toujours pour le situer dans une fascination pour la fiction («nous aspirons à devenir nous-mêmes des personnages d'enluminures et d'anciens almanachs»), à l'ombre des livres et comme surgissant de certains auteurs (Dhôtel, Chardonne ou Mac Orlan, auxquels il nous a habitués, et quelques auteurs néerlandais dans ce cas-ci), et qu'aussitôt le vécu retourne se réfugier dans les mots («Cela tient de la fable, mon histoire, mais tout est quand même réellement arrivé»). Il ne s'agit pas d'un livre d'histoire, peu importe la véracité des faits évoqués, et ce qui arrive à un romancier, dans son imaginaire ou son écriture, n'est pas moins réel qu'un souvenir. On dira qu'il y a ainsi une manière de se consoler ou de se rassurer dans une méditation sur un passé mis en scène pour le lecteur.

Le prétexte de ce livre? Vers l'âge de douze ans, le narrateur est envoyé vivre en Gueldre, chez Monsieur Prins et ses deux fils, nettement plus âgés que notre auteur; l'un Han, cherche à se trouver – ou à se perdre – dans des voyages, l'autre Jan, préfère jouer aux échecs. Tous trois sont de fins lettrés polyglottes. Mais la Hollande d'alors garde encore de nombreuses traces de la Seconde Guerre et c'est l'occasion, pour le narrateur de revisiter son enfance, lui qui est un enfant de la guerre, de se retourner sur ce qu'ont été ses relations avec sa mère, ses grands-parents ou les filles… Car l'époque, paradoxalement, laissait une grande liberté aux enfants. Et s'il apprend, en Gueldre, à lire et à s'exprimer dans une autre langue, il a aussi l'âge où ses préoccupations le poussent vers les jeunes filles – naïve Germaine, provocante Mara, languissante Carlijn.

Au sein de ce tissu de relations, l'adolescent – qui continue bien sûr à lire – découvre le jeu des pouvoirs et les plaisirs de la séduction, commence à toucher aux émotions secrètes, à philosopher, à vivre. Attendre nourrit les regrets. Et la question se pose de devenir un homme et du regard avec lequel considérer ses contemporains quand on a tant vécu, déjà, dans les livres et qu'on porte un «lancinant désir de disparaître»…

Mais au fond d'une taverne, l'amour, ou sa blessure, apparaît parfois sous les formes d'une jeune femme qui semble surgir du tableau d'un maître ancien. «Toute vie est imaginaire», puisse-t-elle durer ainsi!