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Critiques de livres


Anthologie
Poésie en pays de Liège
L'arbre à paroles
1994
303 p.

Un jardin de roses et d'épines

On dira ce qu'on veut des anthologies : qu'elles se suivent sans se ressembler (et pourtant c'est fou comme elles se ressemblent toutes) ; que la meilleure n'est pas exempte de péchés, ni la pire d'intérêt ; que ce sont des cimetières où toutes les tombes sont fleuries (certaines plus que d'autres ou de fleurs plus éclatantes), des jeux de massacre, des foires du trône, que sais-je ? Elles demeurent néanmoins, quoi qu'on dise, comme des repères (des repaires ?), des stèles, des bornes dans le champ poétique. Les uns s'y heurtent de nuit et s'emportent, les autres les rencontrent de jour, s'en détournent ou prennent, à partir d'elles, grâce à elles, contre elles, un nouveau départ. N'importe au fond, puisqu'elles ne laissent ni les uns ni les autres indifférents. Un jardin de roses... et d'épines, c'est ainsi que Paul Léautaud désignait, malicieux en diable, cette « anthologie » (mot barbare au­quel il préféra toujours « morceaux choi­sis ») qu'il avait commise en 1900 avec son ami Adolphe Van Bever : les Poètes d'aujourd'hui, 1880-1900, une première dans le genre et qui fera date.

Le jardin que j'ai aujourd'hui sous les yeux s'intitule Poésie en pays de Liège. C'est un jardin dont à première vue le ou les jardi­niers sont absents. Par discrétion sans doute, ils se sont cachés parmi les fleurs et signent les notices.

C'est donc à un collectif appelé Anthologie (en référence peut-être à Georges Linze et à ses éditions) et désigné par le « nous » de la pré­face d'André Doms que nous avons affaire. Dans ce jardin, nous dit-on, figurent qua­rante-trois poètes nés après 1900 en pays de Liège, y vivant ou y ayant vécu. Comme toujours en pareil cas, et c'est inévitable, il y a des manquants à l'appel, des qui n'ont pas voulu en être sans doute, des qu'on ne connaissait pas, des qu'on a oubliés peut-être, etc. Sans doute, peut-être : « raisons diverses ». Le préfacier brosse un tableau rapide mais vif de « l'aventure de la poésie en pays de Liège », où l'on voit qu'elle fut et demeure extrêmement vivante, « plurielle » et d'une belle « hétérogénéité », ce qui renverse l'image qu'on se faisait, à l'extérieur, d'un « groupe » de Liège, sinon d'une « école ». André Doms a tout à fait raison de souli­gner la chose car, à part (sans h) le joli nom de Meuse ici et là faisant écho, l'un ou l'autre vocable du lieu et une attention plus portée au pays (âge) ou au corps corps de la langue) des lisières ce qui, du reste, n'est pas l'apanage d'une région déterminée — à part cela, ce qui rassemble ces poètes est moins remarquable que ce qui les dis­tingue et sépare.

Suivant l'ordre chronologique (qui ne de­vrait froisser personne, c'est toujours ça de gagné), les poètes sont présentés plus ou moins brièvement par l'un ou l'autre des collaborateurs de l'entreprise, et illustrés d'un choix plus ou moins large de textes, le­quel donne une petite idée des œuvres mé­connues et le plaisir de relire les autres. Quel qu'il soit, le dosage le plus subtil fera encore grincer des dents (c'est la loi de ce genre d'ouvrage, le mieux est de laisser pas­ser) : toutes les roses ont des épines et les meilleurs jardiniers les mains griffées. L'im­portant pour le public est que le jardin soit ouvert à tous et qu'il fasse bon s'y prome­ner. C'est le cas. Je salue donc les jardiniers.

Guy Goffette