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Critiques de livres


Nicole MALINCONI
Portraits
Le Grand Miroir
coll. La Petite Littéraire
2002
50 p.

Brèves rencontres

L’écriture de Nicole Malinconi est faite de propositions tranchantes, voire incisives, de phrases plus syn­copées qu'harmonieusement rythmées, d'une cadence qui n'évite pas les reprises, les redites, d'une ponctuation très affirmée. Il y a aussi une distanciation, un air de ne pas y toucher, comme une volonté de rester dans le strict descriptif. On sait cela depuis bientôt vingt ans et cette écriture a déjà porté nombre de romans ou de nouvelles. A bien y regarder, on constate toutefois que Malinconi n'utilise jamais de termes précis, de mots définitifs ; elle malaxe des mots gé­nériques, s'approche à petites touches, semble ne rien oser mais finit par donner une densité vertigineuse à ceux dont elle parle. Car elle parle des gens. Elle réussit à tracer en quelques mots l'histoire et l'émo­tion d'une vie ; mieux même, elle arrive à la présenter sans la trahir ni imposer sa propre grille de lecture. La forme sèche de l'écri­ture devient ainsi allusive et fait remonter jusqu'au lecteur des facettes ou des frag­ments bruts qu'il doit remettre en perspec­tive quand l'auteur s'est contentée de les sélectionner et de les traiter avec neutralité. Malinconi remarque que l'on dit « mon semblable » pour quelqu'un dont le visage est pourtant bien différent. Elle dresse ici, dans des textes très courts, une galerie de portraits, une suite de visages, les uns à peine entrevus et déjà perdus dans la foule, les autres photographiés et posés sur la che­minée. Un visage n'est qu'une bouche qui parle, l'autre est masqué par un rideau ; un est oublié, l'autre cherche la reconnais­sance... Et tous portent les blessures ou les cicatrices d'une vie propre qu'ils révèlent ou cachent à des degrés divers.

Faut-il parler de poèmes pour ces petits cli­chés furtifs ? L'éditeur a, en tout cas, choisi astucieusement une typographie en drapeau qui donne, au premier regard, cette forme de versification qui ne va pas jusqu'au bout de la ligne. A la lecture pourtant, on dé­couvre qu'il s'agit bien d'une prose. Et on voit tout ce que la présentation ajoute à la cadence, déjà évoquée, de l'écriture. Peu importe qu'on l'appelle l'autre, le sem­blable ou le prochain, qu'on le dise mon amour ou mon voisin, qu'il soit croisé dans la rue ou inventé par la fiction, le visage rencontré fait écho à nos propres abîmes — désastre ou désir. Malinconi fait bref pour en dire long ; elle débusque nos instincts, nos angoisses, nos rites et la difficulté du dialogue. Elle ne tend pas de miroir, elle souligne notre impossibilité de rester seul.  

Jack Keguenne