L'émeute au cœur
Acte de foi
Les temps sont noirs. Il ne nous reste
qu'à brûler comme nous pensons. Soyons des Torches. Ô serre-nous bien
dans ton poing dur Destin qui nous as tant trompés ! (Autodafé.)
Ecouter Victor Serge, c'est entendre la voix même de la résistance, de la dissidence, de l'insoumission. Apre et brûlant cadeau, que nous devons à la fidélité de Jean Rière qui a réuni, sous le titre Pour un brasier dans un désert, les recueils — et de nombreux inédits — de ce poète révolutionnaire d'origine russe, fils d'émigrés politiques anti-tsaristes, né à Bruxelles en 1890, mort au Mexique en 1947. Le parcours de Victor Kibaltchitch, dit Victor Serge, fut rien moins que paisible. Militant anarchiste, il doit quitter la Belgique en 1909. On le croise par la suite à Paris : impliqué à tort dans le procès de « la bande à Bonnot » en 1913, il est condamné à cinq ans de détention. A Barcelone : à peine sorti des prisons françaises, il participe au soulèvement populaire de juillet 1917. A Petrograd, puis à Moscou : il adhère au Parti communiste, travaille dans le journalisme et l'édition. Exclu du Parti en 1928, il est arrêté à diverses reprises, puis déporté à Orenbourg, dans l'Oural, de 1933 à 1936 (mémorable « affaire Victor Serge »). En France et en Belgique, des écrivains se mobilisent, de Georges Duhamel, Charles Vildrac, Panaït Istrati, Marcel Martinet et Henry Poulaille surtout, à Charles Plisnier. « Libéré » en avril 1936 (mais ses manuscrits sont définitivement confisqués...), il est accueilli, à son retour en Belgique, par Charles Plisnier et Albert Ayguesparse. Collabore à plusieurs journaux, particulièrement La Wallonie, avant de repartir pour la France où, dans l'indifférence générale, il tente d'alerter l'Occident sur l'URSS et le stalinisme, dénonce les procès de Moscou, le nazisme...
Proche de Trotski, dont il s'éloignera plus tard, défenseur du POUM pendant la guerre d'Espagne, cet éternel insurgé gagne en 1941 le Mexique où, envers et contre attaques et calomnies des staliniens, il écrit, étudie les civilisations indiennes, sans jamais renoncer à son engagement actif de militant socialiste internationaliste et libertaire. C'est sur cette terre d'exil qu'il mourra, le 17 novembre 1947. Son œuvre est multiple : romans (5/7 est minuit dans le siècle, Les années sans pardon...), essais et témoignages (Les anarchistes et l'expérience de la révolution russe, Lénine, Mémoires d'un révolutionnaire…), poésie, qui nous retient aujourd'hui. Deux recueils : Résistance, 1938, dédié « A mes compagnons de captivité de 1933-1936 » ; Messages, 1946. Le long poème Mains, 1947. Des poèmes et textes inédits, qui courent de 1912 à 1947, et que Jean Rière a regroupés sous le beau nom de Destins. On est saisi par le souffle, la véhémence, l'ardeur sauvage de cette poésie qui exalte la révolution : trahie, naufragée, mais toujours renaissante. Célèbre les camarades, morts ou vivants, prêts au combat, l'émeute au cœur. Appelle au refus du fatalisme, de la lâcheté, de l'oubli. Chante la terre et les étoiles, le monde qui veut naître.
ô pluie d'étoiles dans les ténèbres, constellation des frères morts !
Je vous dois mon plus noir silence, ma fermeté, mon indulgence pour tous ces jours qui semblent vides, ce qui me reste de fierté pour un brasier dans un désert.
Mais que se fasse le silence sur les hautes figures de proue ! L'ardent périple continue, le cap est de bonne espérance...
Un regret, pourtant : le vers Pour un brasier dans un désert, certes beau et symbolique, avait été choisi déjà comme titre pour la réédition, en 1972, chez François Maspero, de Résistance. La précision figure en note. Reste que cette reprise est un peu gênante...
Francine Ghysen
Victor SERGE, Pour un brasier dans un désert, poèmes réunis, établis et annotés par Jean Rière. Augmentés d'inédits (1912-1947), éditions Plein Chant, 16120 Bassac, 249 p.