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Critiques de livres


Xavier HANOTTE
Poussières d'histoires & Bribes de voyages
Le Castor Astral
coll. Escales du Nord
2003
82 p.

Musique d'automne

Nous connaissions les romans de Xa­vier Hanotte — parmi lesquels le très prenant Derrière la colline, à la fois ample et frémissant, reparaît au format de poche, chez Pocket. Ses traductions — comment résister au plaisir de signaler la dernière : le savoureux, prodigieusement drôle et pathétique Fromage, de l'écrivain flamand Willem Elsschot, que Jean Muno aurait sûrement aimé.
Nous découvrons aujourd'hui des poèmes qui courent à travers les vingt dernières an­nées, réunis sous le beau titre Poussières d'histoires.
Humeur vagabonde, lumière d'arrière-sai­son, ironie tendre, mélancolie douce-amère imprègnent ces croquis et ces rêveries sans date qui nous promènent d'Arras où Dor­ment des absences à Berlin, Londres, Bor­deaux. Venise (Place Saint-Marc personne ne me voit / Et pour cause puisque je n'y suis pas). Saint-Idesbald où la bière ambrée d'une halte à l'abri des rafales d'un vent de tempête embue les choses d'une douce ivresse nimbée Du soleil cuivré / Qu'on nomme Amitié. Escales. Attentes. Nostalgie. Peut-être le vide / Mord-il plus fort que la douleur ?
Secrète présence de celui qui n'est plus là : Et ta barbe blanche / A jamais compagne / De mon avenir / Ou ce qu'il en reste / Papa. Je ne suis pas certaine que le commentaire qui précède chaque poème ne l'étouffe pas quelquefois, au lieu de l'éclairer, l'ouvrir, le prolonger.

Car ces « poussières d'histoires », d'une grâce furtive, impalpable, voltigent li­brement dans l'air du temps, et se posent un instant au bord de la mémoire, traces lé­gères qu'on approche à demi-mots. Comme on effleure une intime fêlure...
Le ton se fait plus sombre, l'accent plus âpre, désolé, dans le roman de Jean-Marie Denis Frontières belges. Le voyage, ici, res­semble à une dérive, un naufrage. Ce passant qui roule au bas des marches de la Bourse, à Bruxelles, un dimanche matin d'automne, et reste là, poisseux de fatigue et de tristesse, s'appelle Léopold Van Neu­ville. Il a traîné une enfance et une jeunesse sans joie dans des internats, délaissé par des pa­rents fantômes, perpétuellement à l'étran­ger, qu'il n'a fait qu'entrevoir, et qui sont morts brutalement dans un accident de la route, voici plus de vingt ans. Puis il a voyagé, songeant que l'Afrique est assez vaste pour espérer s'y perdre sans retour. Vécu d'expédients. Flotté. Jusqu'au jour où une lettre l'a rejoint à Saint-Louis du Séné­gal, lui apprenant la mort d'une tante (Ce nom ne me disait rien, et le mien à peine) dont il est le légataire. Un signe du destin ? Léo, qui est toujours passé à travers les choses, sans attaches ni regrets, éternel étranger, disponible jusqu'au vertige, rentre au pays. Cette Belgique qui ne lui semble guère plus réelle que sa propre vie, mais peut-être y découvrira-t-il une place où comprendre qui il est. Ou seulement un en­droit pour mourir...Alors commencent des jours d'errance. De Bruxelles à Blankenberge (où se trouve l'im­meuble dont il hérite sans bien réaliser qu'il est désormais sien), d'Anvers à Liège. De cafés où l'on tente de noyer ce sentiment lan­cinant de défaite, de déroute, en chambres d'hôtel où l'alcool tourne aux larmes, pour échouer enfin sur la tombe des parents, à Dion-Valmont, où se nouent dans sa gorge les mots d'un vieux compte à régler, les san­glots d'une détresse sans fin.
Au hasard, Léo prend des trains, arpente des chemins, rôde dans des villes, pareil à un somnambule, croise des êtres, ébauche des rencontres, frôle la chance d'être aimé. Mais il se sent aussi incapable de recevoir l'amour que d'en donner. Une obsession le pousse en avant : la fuite pour seule issue. Fuir sans cesse, par peur de s'attacher et d'être abandonné. Refuser la tendresse par angoisse d'être trahi.

Après avoir failli sombrer, Léo retrouvera la terre ferme. Le tour fait de son histoire, de son pays avec lequel il a peut-être en par­tage ce mélange d'effronterie et de désespoir. La paix signée avec le passé, miné de failles et de manques. Seul, mais non plus séparé des autres. Libéré de la colère sourde, de la rancune, de l'amertume qui le hantaient, l'exilaient de tout. Réconcilié avec sa condi­tion de vivant. Prêt à regarder sereinement venir les saisons ; le temps qui reste. Ce petit livre de brouillard, de nuit et de pluie s'achève sur une clarté timide. Des lendemains possibles... Difficile d'y croire, au bout d'un long tun­nel d'indifférence où l'on a marché, diva­gué, soliloqué sur les pas éperdus d'un anti­héros qui nous a troublés, touchés, avant de décourager notre amitié.

Francine Ghysen

Jean-Marie DENIS, Frontières belges, Bruxelles, Ber­nard Gilson, coll. Micro-roman, 2003, 149 p.