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Critiques de livres


Madeleine BIEFNOT
Précaire est la maison (Poésie 1955-1995)
Le Taillis Pré
1999
120 p.

Le beau temps du long pli des robes

Découverte d'une poétesse qu'on ne dira pas discrète mais franchement secrète, Précaire est la maison donne l'occasion, en cent cinquante et quelques pages de rencontrer quarante ans d'écriture d'une voix rare à la beauté singulière. Madeleine Biefnot use, dès son premier re­cueil, L'arbre à têtes, en 1955, d'un vocabu­laire « naturel », des mots de la campagne, de la botanique, qu'elle comprime en images denses, succinctes, tassées les unes sur les autres, pour livrer au plus juste un condensé d'émotions, un mixte de saveurs et d'odeurs qui donne résonance à la pensée de l'instant. S'agissant de quarante années d'écriture, on comprend, au-delà des mots, et on voit à l'œuvre, tour à tour, la femme désirante, l'amante, l'amour construit, l'enfante­ment... Une vie qui passe, écrite dans les torrents de lumière, profitant du grand jour, colorée de l'éclat des fleurs et tempérée par le passage des saisons : le dégel vient après la neige. Mais le soleil est omniprésent et le ciel a des allures de mythe que seul l'oiseau peut connaître.
« L'approche du désir a levé la vanne du barrage ». Des mots d'attente, de contem­plation, elle glisse vers un vocabulaire de braconnier avec une toujours pareille exi­gence. Que le poème soit court — voire in­cisif à force de brièveté — ou long, la musi­calité demeure, et la fécondité des images. « Point de fuite » ou « Commencement des blés » disent bien ces extrêmes où Made­leine Biefnot semble se cantonner ; elle œuvre à la limite, avec une exigence aiguë, pour, d'une même voix, cerner un instant ou dérouler un temps scintillant. Dans ses poèmes, la vie va son cours dans une bruissante limpidité. Les saisons de chaque fleur, le ruisseau qui coule parfois en torrent ou l'automne qui arrive sont, tout à la fois, les petits détails d'une vie et les grandes choses d'un monde qu'on ne peut que contempler. Magnifique découverte que cette lecture. Les poèmes sont cristallins, scintillants, d'une déconcertante simplicité dans une forme que certains jugeront peut-être hermétique. C'est que Madeleine Biefnot ne prend que la quin­tessence, elle recueille au plus vif l'impres­sion d'une couleur, d'un parfum, d'une sa­veur ; elle ne s'encombre pas de longs détours et ramasse ses images. Ici, le superflu n'a pas droit de cité et extraire un vers risque de le dénaturer. Rarement un peu d'encre sur une page arrive-t-il ainsi à toucher à l'es­sentiel, à éveiller à ce point tous les sens...
Le recueil est anthologique ; dommage, on voudrait en lire plus. On s'étonnera aussi d'un trou de 20 ans, entre 1958 et 1978; Madeleine Biefnot a-t-elle cessé d'écrire à ce moment ? Le livre n'en dit rien. Et qu'en est-il depuis 1995 ?
Enfin, s'il faut saluer l'initiative de l'éditeur qui publie cette grande voix trop mécon­nue, il faut aussi, malheureusement, regret­ter que la qualité de fabrication du livre ne soit pas toujours à la hauteur de son contenu. Que ceci n'arrête pas les lecteurs intéressés — l'œuvre est trop essentielle — mais il fallait que cela soit dit.

Jack Keguenne