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Critiques de livres

Transatlantique

Montréal/Edimbourg-Nice-Paris-Madrid-Bruxelles/Montréal. Ou le parcours d'un enfant de la rue vers la gloire, avec retour passager, réca­pitulatif et tendre dans le giron maternel. Né de pères multiples, comme le laisse sup­poser sa physionomie aux traits mélangés (reflets ambrés de la peau, yeux turquoise, cheveux de jais ; « une face de caramel lissé », « un nègre jaune ») et d'une mère prostituée, Louis Prince a commencé sa vie en bambin vedette du quartier à putes de Montréal. Chéri de ces dames, il ne va guère à l'école, si ce n'est à celle de la vie. A onze ans, il vend des fleurs dans les bars ; à quinze, il est amoureux d'une fille de presque son âge qui tapine devant la fenêtre de sa chambre et il triche au poker. Il finira par arriver ce qui devait arriver : il tombe sur un mauvais perdant, qui le menace. Ce sera la fuite en Europe, les années d'appren­tissage (sexuel, amoureux...), de rencontre de plein fouet avec le monde tel qu'il est en cette fin de siècle. Et la réussite. Avec ce début de résumé, avec son titre à la Vincent Ravalée (façon Cantique de la ra­caille), on pourrait s'imaginer que ce pre­mier roman d'Olivier Brouet — déjà auteur aux éditions Complexe de Drogues et rela­tions internationales — est écrit dans la langue de la rue, voire dans le jouai québé­cois. Pas du tout. L'écriture est classique, poétique. Toujours classique et poétique. Toujours identique, même lorsque nous suivons, alternativement, les pensées des différents personnages et que Louis traverse l'Atlantique, qu'il rencontre des gens de la haute sphère financière ou des médias. En Europe, il mène la dolce vita dans un pa­lace d'Edimbourg, devient modèle pour une riche bourgeoise en mal de passion amou­reuse et picturale, manifeste contre l'ex­trême droite, aime une fille à Madrid, in­vente une nouvelle discipline artistique, l'arachnitecture (qui consiste à faire des œuvres avec des toiles d'araignées), la com­mercialise et devient capitaine d'industrie vestimentaire (celle de la soie naturelle arachnéenne). Sa vie il la mène, un peu dé­calée, au bord de l'absurde, en allant là où le vent le pousse, où le cœur lui dit, toujours avec la même sincérité, toujours avec le même jusqu'au boutisme. Il ne triche pas, prend des coups, n'en donne pas, avance en ange mélancolique dans un monde en manque d'amour, un monde cruel, raciste, affairiste, snob... Pourtant, le personnage reste avant tout une idée mal concrétisée, sans vie propre. Olivier Brouet n'est pas par­venu à lui donner corps, à lui offrir son au­tonomie romanesque. Non plus qu'à aucun autre de ses comparses d'ailleurs. Aussi, au bout du compte, nous n'entendons jamais qu'une seule voix, qu'un seul ton, qu'un seul rythme — une seule pensée alors ? ceux de l'auteur.

Michel Zumkir

Olivier BROUET, Prince Louis, fils de pute, Bruxelles, Bernard Gilson Editeur, 1997