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Critiques de livres


Paul NEUHUYS
Les Extravagants (Raïna, Neuhuys, Norge)
Bruxelles
Le Cri
Les Evadés de l'oubli
1994
225 p.

Dards là. Dire là DADA !

Il y a deux ans (déjà ! Le temps m'accule et le temps t'accule), je ne boudai pas mon plaisir en découvrant le coruscant Prométhée que Paul Neuhuys avait écrit pendant la « drôle de guerre » pour conjurer l'angoisse dans laquelle le plongeaient les incessants raids aériens au dessus d'Anvers. Sans doute, ce n'était pas « vraiment du théâtre », l'intrigue abondait en maladresses, dieux et malheureux héros de l'Olympe ou de l'Iliade étaient mis en scène avec une désarmante candeur, mais on souriait d'aise, tant à voir ainsi la mythologie traitée par-dessous la jambe qu'en y reconnaissant les mots du facétieux poète, son esprit drola­tique et son style alerte et léger. La même année, on pouvait s'ébaudir de la réédition de trois recueils rares du même (Le Canari et la cerise, Le Zèbre handicapé et Le Secrétaire d'acajou), jouxtant d'un Norge foncière­ment optimiste Le Sourire d'Icare et de la frêle Raïna L'Escargot Dada.


Paul NEUHUYS
Prométhée (Théâtre)
illustrations de Jiri Kolar
Bruxelles
La Pierre d'Alun
1994

Les trois com­pères étaient pour la circonstance baptisés « Extravagants », épithète combien seyante à leurs délires langagiers. Pétillant comme le meilleur mousseux, Neuhuys c'est du vif-argent, toujours aimablement disposé à se gausser de lui-même : « poète sans beaucoup d'audience, je me suis fait un « non » dans les lettres ». Et puis, ne fut-il pas le factotum de Dada made in Belgium, l'éditeur des merveilleuses Salopes du fieffé Joostens ou de L'Apologie de la paresse du météore Pansaers ? « Ça Ira » fut certes d'abord une revue d'avant-garde, dont la ville de Brabo ne peut que s'enorgueillir, mais surtout la judicieuse maison d'édition qui nous donna Démonstrations de Lecomte, Les Rêves et la jambe de Michaux, Masques ostendais et Le Cavalier bizarre de Michel de Ghelderode, les Petites lumières d'Henri Vandeputte, L'oiseau qui n'a qu'une aile de Mariën, Les Histoires de la lampe de Colinet ou le Traité des fées de Dumont, ceci pour ne prendre que quelques exemples chers à mon cœur dans un catalogue riche de près de cent titres. C'est dire si je me faisais fête de découvrir les Mémoires à dada d'un poète appréciable et d'un éditeur inspiré, qui à l'instant (enfin) paraissent pour faire la nique à l'oubli.

Toute page lue, me voici contraint, et à mon grand dam, de leur réserver un accueil mitigé. Glissons vite sur ce qu'on peut leur reprocher, ainsi nous pourrons ensuite en dire du bien de façon plus dégagée. À terme, quant à la forme, ce livre ne m'est pas apparu « achevé » mais m'a semblé un peu hybride, macédoine brouillonne de divers manuscrits, n'évitant pas les redites et n'accédant pas à l'unité de ton. (Ça m'a légèrement gêné, bien que prévenu par l'avertissement rédigé par l'un des jumeaux, fils du poète). On peut toutefois y distin­guer deux parties : vers le mitan, l'auteur, de mémorialiste, se mue soudain en un chroni­queur se bornant désormais « à conter les événements non plus comme ils (lui) vien­nent à la mémoire mais comme ils se succè­dent dans le temps ». (Tant d'avis nécrolo­giques à la file m'ont fait me souvenir de Mariën qui, un jour, me téléphona pour que je lui communique les coordonnées de quelques amis susceptibles d'être intéressés par ses éditions, son carnet d'adresses, ironisant-il, ne comportant plus que des morts.) Devait-il être conscient du danger de cette labilité pour lucidement s'interroger plus loin : « Me suis-je vraiment gouré ou, comme aurait dit Montaigne, me serais-je "fourvoyé de ma droite carrière" en mêlant dans ces Mémoires et sous forme de journal tant de souvenirs intimes à mes souvenirs littéraires ? » (Il est vrai qu'on eût pu sucrer pour harmoniser l'ensemble nombre de pas­sages (d'agendas de voyages), tout autant qu'est fondé cet avis de Maurice Blanchot : « L'intérêt du journal est son insigni­fiance. ») Quant au fond, m'ont aussi énervé quelques propos du genre de ceux-ci : « Les jeunes sont hésitants, fluides. Jeunesse floue. Il faudrait une guerre pour les remettre d'aplomb » (!!!) ou « Reçu un texte de Nougé : Le Carnet secret de Feldheim. (...) Les érotiques de Nougé, c'est du nougat. Les touristes de la littérature ne fréquentent que les endroits célèbres » (encore bien que, dix ans plus tard, il se rattrape : « Les sur­réalistes belges Nougé et Scutenaire sont d'un érotisme réconfortant »). A présent que sont mises les virgules, passons aux points positifs. S'il est bien un homme dont l'existence, au vu de ce que nous lisons, semble avoir été tout entière polarisée par la poésie, c'est bien celui-ci. Par l'infini de sa passion, il est admirable et son enthousiasme jamais démenti s'avère roboratif. « Loin des esprits enrégimentés par les entrepreneurs de félicité », Neuhuys nous apparaît, ainsi qu'il le fit à Yves-William Delzenne, « frétillant, acerbe, joueur, (...) un marquis voltairien revenu de toutes les révolutions, sauf peut-être de la sienne ». Plonger, comme ce livre nous le permet, dans son quotidien (qui ne fut pas toujours rosé) devrait nous inciter au fier courage, « parce que la poésie offre à l'être humain la solution merveilleuse de lui-même, (...) enveloppe la terre d'une pous­sière d'or, d'un pollen de lumière... »

André Stas

Paul NEUHUYS, Mémoires à dada, Bruxelles, Le Cri, Les Eva­dés de l'oubli, 1996, 302 p.