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Critiques de livres


Eric DEJAEGER
Elagages max...
Memor
coll. Transparences
Bruxelles
2001
120 p.

Instants tannés

Eric Dejaeger est un auteur prolixe. Il a déjà une dizaine de recueils et de plaquettes à son actif. Il publie égale­ment beaucoup en revues, et non dans les moindres puisqu'on le retrouve notamment dans les douze derniers numéros de Fluide Glacial. Comme beaucoup d'auteurs mus par une certaine urgence, Eric Dejaeger pri­vilégie les petites maisons pour diffuser son œuvre loin du brouhaha des littératures mer­cantiles, selon l'expression d'un de ses édi­teurs. Si l'on en croit le texte inaugural de Poèmes réincarnés dans un orteil aimé, l'au­teur ne se fait pas trop d'illusions, ni sur la pérennité de son œuvre ni sur sa postérité : Tout / ce qu'il / sera nécessaire / de retenir / de mes faits / gestes / & écrits / tient / en peu / de place : / Eric Dejaeger / ouvrez / la parenthèse /1958 / tiret / 4 espaces / fermez / la parenthèse. Ces livres valent pourtant le détour. Les trois qu'il vient de publier coup sur coup ces trois derniers mois nous permet­tent de mieux cerner le personnage. Proses à hic, publié aux éditions Gros Textes et préfacé par Jean-Claude Bologne, consti­tue en quelque sorte son art poétique.


Eric DEJAEGER
Poèmes réincarnés dans un orteil aimé
Les Carnets du Dessert de Lune
Bruxelles
2001
46 p.

Dans cette plaquette, Eric Dejaeger évoque tout ce qui l'énervé (Je préfère mes fringues en solde à vos vestes IBM) et tout ce contre quoi il se dit prêt à partir en croisade (J'irai berner tous les drapeaux des blancs aux noirs, des lignés aux gammés. (...) j'irai déjecter dans le même sac les libertés-égalités-fraternités insignifiantes). Il parle de ces stimuli oniriques si difficiles à consigner dans son flammier (ces particules d'un tout pulvérisé, ces multiples schismes d'un dogme hérétique, ces flashes éparpillonnés dans le jais de l'amnésie (...) des enfants construisant un bonhomme d'eau sous la pluie, une machine à déQ.I.fier les dresseurs d'animaux). Il profite également de ce recueil pour rendre un hommage à deux maîtres qui l'ont influencé autant par leur style de vie que par leur style tout court : Michaux et Brautigan. Ce volume au ton franchement anar manifeste un humour souvent ravageur tout en reven­diquant un droit à la naïveté. Il est rehaussé par des dessins explosifs de Béatrice Gaudy.


Eric DEJAEGER
Prose à Hic
Editions Gros Textes
Châteauroux-les-Alpes
2001
68 p.

Ces textes sont autant de démonstrations de l'art de la chute impa­rable que maîtrise l'auteur. C'est tantôt dra­matique : Elle lui avait dit qu'elle l'aimait. Il ne savait rien de l'amour. Elle n'avait pas de mémoire. Ils vécurent heureux. Séparément. Sans enfants (« Le Génie de Platon ») ; tan­tôt hilarant : Au premier regard, ce fut le coup de foudre. Il oublia tout pour ne plus penser qu'à elle, qui n'exista plus que pour lui. Pen­dant plusieurs semaines, ils vécurent d'amour et d'eau fraîche. Le jour où il l'invita au res­taurant, elle comprit que c'était le début de la f... (« D'Amour et d'eau fraîche »). Dans sa préface, Jacques Sternberg, l'a reconnu avec enthousiasme comme l'un des siens : Tu m'as immédiatement fait penser à un pro du raccourci, un virtuose de l'ellipse, un recher­cheur, non pas des fioritures ou des arabesques, mais plus simplement de la chute finale, du choc imprévu. Ou même du gag brutal.

Dans Poèmes réincarnés dans un orteil aimé, Eric Dejaeger développe un lyrisme discret qui s'exprime dans une prosodie sobre qui ne se pique pas de sophistications. Il se contente simplement d'aller à la ligne tous les deux ou trois mots. Le ton est plus mé­lancolique, même si l'humour n'est jamais loin (L'énervant problème de la bouteille à moitié pleine ou à moitié vide n'a rien à voir avec l'optimisme ou le pessimisme (...) la bou­teille est à moitié pleine et ne doit surtout pas le rester]. Ici encore, la concision des textes fait merveille et permet d'éviter le sournois pédantisme de certaines premières gorgées de bière. Le recueil est rythmé par des illus­trations de Wilhelmi qui déclinent un vi­sage de femme tour à tour énigmatique et désirable. Il est publié dans la collection des Carnets du Dessert de Lune de Jean-Louis Massot, qui s'efforce à chaque fois, dans la présentation de ses livres, de contrarier phy­siquement nos habitudes de lecture. En l'occurrence il s'agit d'un carnet à spirale que l'on feuillette comme un bloc notes.

Thierry Leroy