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Critiques de livres

Marc Quaghebeur
Clairs obscurs
Cognac
Éd. Le temps qu'il fait
coll. Lettres du Cabardès
2006
96 p.

Danser dans les hauteurs
par Jack Keguenne
Le Carnet et les Instants n° 146

Avec Clairs obscurs, Marc Quaghebeur donne un recueil de «petites proses» qui n'ont de petite que leur forme courte car on s'aperçoit vite de l'ampleur du propos, de la variété des thèmes abordés et du vaste brassage d'émotions et de réflexions que ce livre suscite. C'est que Quaghebeur ramasse, dans ces brefs récits, des traits sûrs qu'il délivre dans une contiguïté formant une chaîne sensible, mais à un rythme saccadé et implacable, par touches nettes, en usant d'un vocabulaire fortement imagé. Le temps se déroule normalement, mais les impressions crépitent. Autant dire que le lecteur est, à la fois, pris en étau dans la mécanique linéaire de l'exposé, libre d'errer dans l'amplitude de l'image, mais néanmoins définitivement mené à l'intention de l'auteur. Impossible d'en donner un exemple, il faudrait citer tout un poème, la concision ne valant qu'à travers un ensemble de faits saillants et de sa manière décisive de les articuler. Mais ce qui frappe, ce n'est peut-être pas tant cette capacité à charger de métaphores un texte bref que cette manière d'y réussir quel que soit le sujet traité.

Michel Voiturier
Habiter l'image
Éd. L'arbre à paroles
Amay
2006
196 p.

En effet, Quaghebeur possède un spectre large : il traite des moments de vie, dans ce qu'ils peuvent avoir de plus tragique ou de plus fragile (une blessure, un regard), mais il raconte aussi des histoires sereines et des anecdotes cocasses, des deuils ou des faits de guerre, non sans jeter encore un regard sur la gestion de la cité ou sur l'histoire. La petite prose épouse au plus près l'instant bouleversant ou la décision irrévocable qui modifieront à jamais un cours des choses auquel il faudra bien, désormais, se conformer. Le poème a pris en compte tout ce qui façonne la lucidité et, s'il sait que le temps passe, il n'appelle aucune résignation. Quaghebeur cheville la vie intérieure au spectacle du monde avec une grande maîtrise.

Habiter l'image, de Michel Voiturier, est la réédition en un volume de plusieurs recueils parus, chez divers éditeurs et parfois à tirage bibliophilique limité, au cours de cette dernière quinzaine d'années. Une occasion de vérifier, si besoin en était, que le poète tient bien la distance – ou la longueur, c'est selon – et de découvrir sa capacité à adapter une écriture, qui semble naturellement rauque et concise, au gré des sujets qui le portent. Ainsi, Voiturier est-il descriptif dans les portraits de femmes de Cariatides, sobre et dépouillé dans Cimetières, narratif, voire nostalgique, dans les évocations de Paternelles, etc. Au vrai, il n'y a pas de changements fondamentaux, mais des soins spécifiques à agencer le propos selon les circonstances, à veiller à ce qu'une parole s'accorde aux variations choisies et qu'elle expose, d'un seul tenant, sa vivacité à saisir l'événement et à le penser – ce qui n'exclut pas une part d'amusement : «sur la pente d'un abîme / le vertige pressent / que tout au fond / attend le repos.»

Paul André
Le petit cri têtu du perce-neige
Herseaux
Éd. Les déjeuners sur l'herbe
2005
60 p.

Cela n'entraîne, par ailleurs, pas plus de regret que de consentement; au contraire, il semblerait que Voiturier s'exerce à une vigilance qui tire des fruits de chaque expérience – «toucher n'est pas aimer // tant de fuites penchent vers l'infini» – tout en signalant, le cas échéant, les questions nouvelles, désormais soulevées, qui poussent à poursuivre, à s'interroger plus avant. Et s'il ne tourne pas autour de son nombril, Voiturier sait néanmoins que «Les phrases reflètent qui les écrit» et qu'elles sont davantage posées pour soi que pour autrui, hélas, sans doute, car elles dénotent pourtant une obstination à clarifier et sont mues par une tendresse vive, même si elles n'accomplissent pas totalement leurs ambitions. C'est que, si les mots prennent le relais de l'oubli, ce qui est vécu relève plus souvent du silence – il faut persister dans le péril de dire pour pleinement habiter l'image et sereinement apaiser les cris.

Deux autres recueils atteignent à la même qualité, même s'ils sont de moindre épaisseur. Celui de Paul André, Le petit cri têtu du perce-neige, s'attache à un bout de paysage et à un étang gelé, à un moment du regard et des sensations qui appartient à l'hiver. Avec ce qui se dit en attendant que la saison passe, dans l'espérance d'un renouveau et de la fleur qui, ton sur ton au milieu du givre, poussera sa corolle. Il s'amuse des deux temps (celui qui passe et celui qu'il fait), joue des répétitions à la manière des comptines, fait frissonner de froid ou d'inquiétude – et si l'hiver demeurait à jamais? – et construit le recueil à la manière d'un conte de fées dont on sait qu'il finira bien : le printemps reviendra. Les poèmes accompagnent un monde qui se prépare en secret. Ils contemplent non moins qu'ils exhortent. Enfin, celui de la trop rare Agnès Henrard, Au plus nu de nos danses, qui voudrait faire de la vie un bal et qui, dressant un parallèle entre le monde extérieur et le monde intérieur – «Ne te quitte jamais. Pose en toi le haut miroir qui reflète le ciel» – incite à une danse aussi métaphysique que gestuelle, à un abandon aux sens, à une volupté consentie et délibérée, rayonnante. «J'ose danser qui je suis» sonne, à la fois, comme une prouesse, un accord et un défi – une forme rythmée en promesse de cheminement et un maintien souple qui ose se regarder en face. Cette grâce de la danse, parmi les choses qui se nouent et celles qui se délient, témoigne d'un total don de soi qui n'oublie pas de «prendre soin de mes terres intérieures», ni de «lever tous mes poings contre les étrangleurs de sève». L'élégance impose le respect. Le critique se réjouit de ce genre de livres, mais il s'inquiète de ne pouvoir rendre compte que pauvrement de la haute tenue philosophique que déploie la poésie lorsqu'elle s'affirme avec cette trempe.

Agnès Henrard, Au plus nu de nos danses, Goesnes, Éd. D'une colline à l'autre, 2006, 56 p.