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Critiques de livres


Nicolas ANCION
Quatrième étage
Editions Luc Pire
coll. Embarcadère
2000
204 p.

C'est le plombier !

« Toni, j'allais tout de même pas commencer a raconter sa vie ; des types comme lui, il y en a des cents et des mille, on est tous pareils, au fond, des bras, des jambes, des ennuis qui s'accumulent, parfois une bonne nouvelle, un coup de bol, une affaire en or, puis fini le brillant, retour au gris terne, on continue, on prend le même et on recommence. Est-ce qu'il y croyait, lui, à la chance ? » Une bien bonne question qu'il pose là, le Toni. Toutefois, que l'on ne compte pas trop sur lui pour y répondre. Car à peine a-t-il eu le temps de mettre le pied dans ce roman qu'il en sort raide mort, sa trajectoire ayant malencontreusement rencontré celle d'un autobus lancé à toute allure. Du coup voici Serge, le narrateur, qui se trouvait être à ses côtés au moment du drame, embarqué dans une suite de péripé­ties digne des meilleurs films comiques. Parti annoncer la funeste nouvelle au patron de Toni, il accepte de le dépanner pour la réparation d'une fuite d'eau. La plomberie n'étant pas précisément son rayon, on de­vine sans peine que la chose s'accompagnera d'un certain nombre de complications à l'effet burlesque garanti. Qu'importe, en dé­finitive, puisqu'elles lui permettront de faire la connaissance de Louise, la jeune et jolie occupante du quatrième étage, dont à compter de ce moment la destinée s'unira indissolublement à la sienne... Changement de décor, ou plutôt d'époque. La même ville, Bruxelles en l'occurrence, quelques lustres plus tard. Dans son appar­tement du quatrième, Thomas, un homme à la chevelure grise, veille sur Marie, qu'une maladie mystérieuse tient alitée. Il s'efforce par tous les moyens de la protéger de la sor­dide réalité qui les entoure. Lui cache par exemple qu'il est obligé de sous-louer leur cuisine et leur salle de bains par tranches horaires à des immigrés. Ou d'aller vendre les menus objets qu'il possède encore pour lui ramener de quoi manger. Car partout, c'est la grande déglingue. Le quart monde a envahi les quartiers pauvres. Les trafiquants russes tiennent le haut du pavé. Mais sur­tout il faut que Marie ne sache rien de tout cela. Alors, pour tromper l'ennui de sa compagne, Thomas lui raconte une inlassa­blement une histoire qu'il invente. Celle d'un jeune homme qui va réparer une fuite d'eau dans un appartement et y fait la connaissance d'une jeune fille qui, etc... En faisant s'entrecroiser et s'emboîter deux récits parallèles, Nicolas Ancion réussit une jolie prouesse narrative, qui n'est pas sans rappeler celle des Fleurs bleues de Queneau. Avec un sens très sûr de la construction et du rythme, avec pas mal d'humour et juste ce qu'il faut de tendresse, il entraîne sans peine son lecteur dans le sillage de ses personnages. Du moins lorsqu'il ne se laisse pas griser par l'indéniable virtuosité de son écri­ture, ne se perd pas dans d'inutiles et parfois laborieuses digressions (de celles que ponc­tue un lucide « Mais là, je m'égare... ») ; lorsqu'il résiste à la tentation de dénoncer la sinistrose des grandes villes à coups de cri­tiques un peu trop « socialement correctes », ou véhiculant un imaginaire un peu codé, tendance « anticipation trash » (telle la scène dans laquelle Thomas, afin de gagner quelques sous, accepte de pénétrer dans une sorte de container grouillant de serpents, où des « forains » d'un genre particulier pren­nent des photographies qu'ils revendront ensuite aux badauds...). A cette veine, on préfère de loin les passages plus réalistes, plus intimes, plus retenus, comme cette séquence fascinante où Serge explore l'appartement de Louise en l'ab­sence de celle-ci, fouillant les armoires, dé­plaçant les objets, examinant les moindres indices qui pourraient lui révéler l'identité de l'occupante. Ou encore celles, em­preintes d'une mélancolique douceur, où Thomas s'adresse à Marie, lui dit leur amour qui a su résister au temps et au mal­heur : « Je ne sais pas pourquoi je t'ai menti, Marie, depuis le début de cette histoire. Pour­quoi je te fais croire que ceci est l'histoire d'une Louise et d'un Serge. Tu sais pourtant que cette aventure est la nôtre, comme toutes celles que je te raconte. Peut-être que je t'ai menti simplement parce que les mots les plus faux et les mensonges les plus gros disent mieux la vérité que la vérité elle-même ? Je suis prêt à le croire. » Confidence pour confidence : nous aussi.

Daniel Arnaut