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Critiques de livres

Une voix qui vient de loin

Cette voix, c'est celle d'Alain Van der Biest, dont l'absence aujourd'hui impressionne les plus indifférents. C'est de cette voix qu'il a enregistré, voici treize ans, les quelque deux cents pages qu'il nous est donné de lire aujourd'hui sous le titre Que tout aille bien. L'ancien ministre mit fin à ses jours le 17 mars 2002, laissant une lettre d'adieu et d'amour à son épouse à qui il disait une dernière fois et définitive­ment ne plus pouvoir supporter l'épreuve de la vie. C'est au moment où se déroule devant les Assises de Liège le procès de l'assas­sinat d'André Cools que nous parvient la confession intime d'un homme dont l'om­bre aura constamment pesé sur les débats et les silences des parties en présence. Aucun rapport direct entre ces feuillets rédigés au mois de novembre 1990 et « l'Affaire » si ce n'est que leur publication coïncide avec la tenue du procès. Ce n'est pas le lieu d'aller au-delà de ce constat. Il serait déplacé de chercher dans ce livre des indices propres à étayer une quelconque interprétation de faits ultérieurs à sa rédaction. Il faut lire ce texte en respectant le protocole établi dès les premières lignes par son auteur : ce qu'il en­treprend ne sera pas vraiment une autobio­graphie, ni un roman ni un essai, mais la re­lation de moments privilégiés ou choisis au hasard par « un passant de la vie ». S'y mani­feste d'emblée le souhait d'éviter les « grands » moments, ceux qui comptent pour l'homme social, qui jalonnent une car­rière, satisfont une ambition ou encore ri­tualisent l'accommodation au monde, mais aussi le renoncement à décrire les passions ou les sentiments superlatifs dont la pudeur ou la peur inhiberaient l'épanchement. Voici pourtant qu'un homme s'exprime et nous confronte à une parole qu'il n'a pu ni voulu travailler ou retoucher. Le discours en est vagabond, vivant, imprévu, plein d'hu­meur, bonne ou mauvaise. L'auteur alterne les éclats de colère, contre les traîtres, la bê­tise et soi-même, lorsqu'il ne révèle pas le double jeu des pseudo-défenseurs des tra­vailleurs ; avec l'amertume, la révolte silen­cieuse contre l'injustice, la souffrance d'un être cher. Il ose la honte et le défi tout en­semble quand il exhibe, lui, le fils d'ouvrier, son goût pour les objets et les vêtements de luxe qu'il collectionne compulsivement. Toujours provocateur, il montre enfin, sous un masque « japonais », l'enfant terrible, ou l'enfant fourvoyé qu'il pouvait être dans le monde politique, attrayant et dangereux. Proches du langage parlé, rédigées en termes choisis mais toujours spontanées et à bride abattue, certaines pages déferlent en phrases larges, complexes, montueuses, éclatantes de ces émotions dont il ne voulait pas. D'autres, plus subtiles, analytiques ou très nues, trahissent davantage peut-être celui qui s'y applique. Qu'il déploie une rhétorique parfaitement maîtrisée ou con­sente à la native simplicité, qu'il se joue d'un langage tribal et transitoire pour le pur plaisir des mots, c'est toujours un écrivain qui s'exprime. Et de tout près.

Jeannine Paque

Alain VAN DER BIEST, Que tout aille bien, Liège, Éditions Antoine Degive, 2003.