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Critiques de livres

Jacques Raket
Dernières nouvelles du labyrinthe
Bruxelles
La Mesure du Possible
coll. "Vents favorables"
2006
163 p.

Dernières nouvelles du labyrinthe
par Sophie Creuz
Le Carnet et les Instants n° 147

Dire qu'on entre de plain-pied dans Dernières nouvelles du labyrinthe serait faire injure à ce recueil qui fuit la ligne droite comme la peste. On y entre, à la suite de Cavanna, derrière un soc de charrue, des choesels et une théorie fumeuse sur l'apparition de l'agriculture – le premier labyrinthe – «en l'an 7824 avant Jésus- Christ (il y a donc près de 10 000 ans) le douze mars (pour être précis). Laborare, labour, labeur, labyrinthes.» Soit.

Depuis que l'homo est sapiens on trouve des labyrinthes partout, sur tous les continents. Dès le paléolithique, des empreintes, des signes, des grattements dans la pierre ou l'os, témoignent de la fascination des hommes pour la spirale d'abord; pour la forme carrée ensuite, le carré ne se trouvant pas dans la nature. Cercles ouverts, ondulations vers l'infini, vis d'Archimède avant Archimède, ont toujours eu un aspect sacré, spéculatif. Jacques Raket y succombe à son tour; depuis dix ans il se consacre à l'étude des labyrinthes, quand il n'en invente pas.

Cinéaste, peintre, graveur, sculpteur, grand voyageur, il a répertorié un certain nombre de dédales et en a conçus autant, de très beaux, en noir et blanc, qui en cul-de-lampe, agrémentent ce livre où l'érudition se mêle à la fantaisie. Certaines nouvelles s'arrêtent net. Nous étions en compagnie de Marie-Antoinette sur le point d'être décapitée et… on nous laisse en carafe pour caracoler à la suite de Du Guesclin, trois siècles auparavant. Tous les chemins ne mènent pas à Rome, les pèlerins savent cela qui, à genoux, s'esquintent à arriver au plus vite au centre du parcours pour s'apercevoir qu'au contraire le tracé les en éloigne. Ainsi en est-il du lecteur baladé par monts et par vaux du jardin zen à la plage d'Ostie de Pasolini, de l'Enfer de Dante à celui de Marilyn Monroe, des ailes d'Icare au Bird de Charlie Parker. Heureux qui comme Ulysse, ou le Juif errant, a fait un beau périple, du rêve à la réalité, du mythe à l'anticipation.

Le grand art de la digression, Jacques Raket le possède, d'une plume sûre, alerte, cocasse, savante, jamais pédante, il maîtrise la vue d'ensemble et le détail : l'architecture du contenant répondant parfaitement au contenu. Il escamote les lignes, force les angles, met des interlocuteurs en vis à vis, à quelques siècles de distance, pour des dialogues féconds. À la suite du Labyrinthe du monde de Yourcenar, le Mishima de Jacques Raket émerge comme d'un film, à l'instant de sa mort, se faisant hara-kiri selon les codes d'honneur samouraï. Un zigzag de chair en somme, qui remonte au cœur. Dernières nouvelles du labyrinthe trame donc un réseau de correspondances entre gens de bonne compagnie – François Villon et Billie Holiday chantent les pendus de France et ceux du Mississipi –, et enjambe allègrement les haies de buis qui séparent les époques. Du labyrinthe de Cnossos au microprocesseur, ces pages bifurquent, relient, affabulent ou éclairent des défilés de traboules. Alors le conte se fait oriental, et nous guide mieux qu'un plan fléché au cœur du mystère inviolé. «Comment relier 9 croix d'un seul trait fait de quatre segments», demandait Einstein? Par entrelacs interposés, les ébénistes arabes, maîtres d'œuvre des fenêtres ouvragées lui ont répondu.

Jacques Raket qui est aussi scénariste, nous enchante et nous sidère : le récit véridique des quatre enterrements de Du Guesclin vaut celui des enterrements de Melquiades Estrada dans le film de Tommy Lee Jones! Le recueil se clôt par un bloc-note aussi passionnant qu'éclairant pour le profane égaré sur ces chemins de traverses, dits de sagesse.