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Critiques de livres


Jean-Marc DEFAYS
Raymond Devos
Labor
collection « Un livre une œuvre » n°25
1992
140 p.

Parler seul

Les activités littéraires réputées mi­neures ou marginales sont souvent celles qui permettent le mieux de saisir les enjeux du langage, de la communi­cation et de la place qu'occupé la littérature dans ce grand jeu. L'excellent ouvrage que Jean-Marc Defays consacre au monologue comique est particulièrement éclairant. A l'inverse de la représentation théâtrale, le comédien est ici seul sur scène, sans parte­naires ni décors. Il a tout à inventer et sur­tout à se découvrir un interlocuteur. Car, si le discours théâtral prétendument adressé à des interlocuteurs sur scène est en fait des­tiné au public, le monologue ne peut comp­ter sur cette convention initiale. Le contact entre le monologuiste et le public est quant à lui direct. L'artiste doit créer tout autant son espace scénique et son univers de fic­tion que son partenaire. Il s'agit donc d'une situation tout à fait particulière où les conditions de renonciation sont primor­diales, où celle-ci est l'enjeu principal si pas unique du spectacle. La communication est ramenée à son point essentiel : pourquoi parler quand on est seul ? L'interlocuteur recherché peut revêtir toutes les formes : le public, un comparse muet (le pianiste chez R. Devos), un personnage imaginaire ab­sent. Beaucoup de monologuistes prennent comme sujet de leur spectacle les circons­tances spécifiques de cette énonciation face à un interlocuteur « vide ». La fragilité des règles du genre est l'autre obstacle majeur du comédien solitaire. Les conventions de ce type de spectacle étant réduites, les modalités de contact avec le public doivent être constamment remises en cause. Car ce public doit être conquis, sur­pris, lui dont les réactions influencent directement le comédien, puisqu'il en est le protagoniste.

Le monologue devient ainsi l'archétype d'une communication dont les règles sont sans cesse (ré)inventées, la limite entre réel et imaginaire devenant ici évanescente. Coluche n'a-t-il pas poursuivi son spectacle en se portant candidat aux élections présiden­tielles ? La pauvreté des moyens du mono­logue est compensée par une rhétorique subtile. C'est à la découverte de celle-ci que nous entraîne Jean-Marc Defays, à partir des performances de ce grand artiste qu'est Raymond Devos. L'auteur, après un essai de définition et un historique du mono­logue comique, en examine les conditions (l'interlocuteur, le discours, le spectacle du spectacle), les composantes (dramatique, linguistique, argumentative) et le « monde » élaboré par transmutation, inversion, dé­doublement. Il le fait d'une manière rigou­reuse mais jamais pesante, démontrant par la qualité de son propos qu'on peut étudier le comique sans nécessairement gâcher son plaisir. Une étude bien menée est aussi un plaisir de l'esprit.

Joseph DUHAMEL