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Critiques de livres


Jacqueline HARPMAN
Récit de la dernière année
Grasset
2000
224 p.

Chronique d'une mort annoncée

Heureux les amateur(e)s de Jacque­line Harpman. Ils et elles viennent de redécouvrir son premier roman, L'apparition des esprits dans la collection Ancrage dirigée avec dynamisme et intelli­gence par Stéphane Lambert, le même qui a écrit le très sobre Ensemble, Simone et Jean sont entrés dans la rivière ; ils peuvent of­frir, à tous ceux qu'ils aiment la réédition en Espace Nord d'un de ses plus beaux ro­mans, Le bonheur dans le crime, avec une lecture de Marie Blairon qui explicite l'éco­nomie du récit, les rapprochements avec le roman de Barbey d'Aurevilly et les éléments thématiques qui orchestrent la fiction ; mais encore et surtout ils peuvent se réjouir de son nouvel opus, Récit de la dernière année, qui vient racheter la faiblesse du pré­cédent, L'orage rompu. Dans ce roman, construit telle une messe mortuaire, une femme, Delphine Maubert, professeur en informatique apprend, en rentrant de vacances (de ces vacances qu'on passe en solitaire pour faire le point sur sa vie !), qu'elle souffre d'un cancer inguéris­sable au poumon. Elle doit donc parvenir à concilier les deux propositions suivantes : « J'ai cinquante ans et Je vais mourir. » Comme elle n'est pas du genre à s'affoler, elle va s'organiser. D'abord, elle va trans­mettre la nouvelle à sa mère, à ses enfants (« C'est moi qui meurs et je me sens crimi­nelle »), puis continuer à vivre, gérer le temps qui reste (entre six mois et un an), contenir la folie qui couve et n'éclatera pas. Une des forces du livre est là : de ne jamais tomber dans les clichés hystériques. D'être une réflexion étonnée sur la vie, la mort. Mais aussi sur les liens familiaux, sur la transmission des savoirs des femmes modernes, sur l'amour qui peut naître à l'ap­proche des derniers instants. Et Jacqueline Harpman d'entrer en dialogue avec cette histoire qu'elle voit se dérouler devant ses yeux, qu'elle traduit en mots. On suit ainsi les processus de création et les interroga­tions, les réactions de l'écrivaine : « Qui est cette Delphine qui vient de me tomber sous la plume (...) Je sens qu'elle requiert ma présence et que je ne suis pas en état de lui résister. (...) Rien ne m'oblige à poursuivre le meurtre entrepris (...) Voudrais-je ne pas voir que Delphine n'est guère sensible à elle-même ?... » A certains moments, le personnage semble contaminer l'écrivaine de sa maladie de la mort et celle-ci se ré­volte : « Je ne sais plus ce qui est d'elle et de moi, je ne veux pas qu'un jour sur la feuille à demi écrite ma main se desserre et lâche son emprise sur la plume, je jure de ne pas me résigner et si je dois mourir ce sera dans la colère (...) Vieille, cassée, épuisée, je n'aurai plus d'autre ennemi que la mort... » Ces passages confirment que Jacqueline Harpman garde toujours sa conception très classique du roman — le roman comme vi­vier à personnages (bourgeois), le roman écrit dans une langue hors d'usage (si ce n'est littéraire). La différence avec d'autres, c'est qu'elle le fait subtilement, élégam­ment, et qu'elle a accepté que la psychana­lyse passe par là. Pour renouveler le propos.

Michel Zumkir