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Critiques de livres

Anne Richter
L'ange hurleur
Lausanne
Éditions L'Âge d'Homme
coll. Contemporains
2008
129 p.

Un vertige lucide
par Francine Ghysen
Le Carnet et les Instants n° 152

Précédés d'une préface de Georges Thinès, d'un avant-propos de Jean-Baptiste Baronian et même d'une note de l'auteur (risquions-nous de nous égarer dans un monde en clair-obscur, où l'improbable fait vaciller le réel?), les neuf courts récits que nous livre Anne Richter portent un titre insolite : L'ange hurleur. Illustré par le cri de douleur (ou d'effroi?) d'un ange de Giotto.

On y fait d'étranges rencontres, y frôle d'indéchiffrables drames. Le mystère s'ourle d'angoisse et de cruauté; comme l'amour, d'absence et de solitude.

Clara est née avec, tapi en son sein, un renard rouge qui, à chaque émotion vive, lui mord sauvagement le coeur, lui arrachant des hurlements désespérés. Jusqu'au jour où la musique de Mozart, avec ce «sourire à travers les larmes» d'une douceur déchirante, cette aspiration grave et légère à l'apaisement, la délivre de son mal torturant.

Un homme profondément endormi marche sur la route, assailli par les songes, pénètre dans une maison inconnue et pourtant familière, reconnaît des visages qui ne le voient pas, pressent un malheur, voudrait l'empêcher, mais n'y parviendra pas. «Tant de gestes, d'actes, d'événements passés le séparaient des autres et de lui-même. Il avait l'impression de suivre des ombres de l'autre côté d'un fleuve, il marchait sans les quitter des yeux, tentait de les appeler, mais les ombres allaient toujours, sans même soupçonner l'existence de ce fantôme tremblant sur l'autre berge.»

Un curieux chat-singe ramené d'Amazonie, devenu le confident d'Olga, se révèle être un thaumaturge : «Il a le don des larmes, celles qui éteignent le feu des colères et des combats, mais il possède en outre la joie de vivre. Il pleure sur la douleur du monde et dan-se devant sa beauté». Et devant l'amour, grâce à lui retrouvé, d'Olga et d'Adam.

Parmi ces nouvelles qui frôlent le fantastique se glissent des textes à l'accent personnel, où la confidence se prolonge en méditation.

Anne et Anna nous parle ainsi de la solitude et de l'écriture (laquelle des deux induit-elle l'autre?) et dessine un portrait sensible d'Anna Géramys, amie trop tôt disparue, dont elle relit les deux romans. «Oui, cette vie et cette oeuvre ne furent qu'un vertige, mais un vertige étonnamment lucide, vécu avec un mélange surprenant de véhémence et de froideur.»

Sous la plume d'Anne Richter aussi, vertige et lucidité, fascination de l'irrationnel et goût de la clarté, du mot précis, s'unissent étroitement. Aux confins du réel. Au seuil du mystère.