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Critiques de livres


Jean-Pierre VERHEGGEN
Ridiculum Vitae précédé de Artaud Rimbur
Gallimard
2001
207 p.

Miam ! Des textes à goût d'os !

Voilà l'homme que je suis. Le saint homme. Ou plutôt le symptôme comme Lacan l'a dit et redit. Voilà le bouffon, pensera-t-on. Le bouffon nimbé, non pas de sa gloria in excelsis et cœtera, mais de sa gloriole de trop excessif idiot (...) Le Bouffon-Roi qui nous vient décliner son ridiculum vitae. Le bouffon (...) qui nous regarde par la fente infiniment fi fille, et même nînîe nîyaute, de ses pupilles de vieille chatte nyctalope, et salope ! Voilà l'animau.

Voilà le Ridiculum Vitae, qui est le texte de retour de J.P.V. et qui me met en joie moi ! Texte mystique quasi — mais de mystique qui se gratte au trou qui le mastique ! —, et qui poursuit, le poussant aussi loin que dans Artaud Rimbur (son hard poétique pour le parler grand nègre que réédite La Différence), l'animau, ce foutu état de chair — désespé­rant mais rigolo ! Si rigolo ! —, où on se met tous quand on écrit, quand on se tranche vraiment réellement pour dire écrire. Oui ! Tranche ! Pas retranche ! Ecrire n'est pas un retrait ! Dire n'est pas se retirer de quoi que ce soit. C'est se réduire, c'est se tronquer. Pour que notre trou de vif soit — fût-ce vaille que vaille ! C'est se déposséder jusqu'au ridicule même — si le ridiculum est vital ! —, jusqu'à paraître bouffon s'il le faut ! Et basta pour qui ne le comprend pas ! Car — oui ! oui ! — rien ne compte plus ici ! Sauf le trou de vie ! Faut qu'il passe ! Faut que le texte soit le symptôme de cette chose en moins qu'on a tous en nous mais qu'on ne sait pas dire ! Faut que notre os, notre trou de viande, se fasse entendre ! Et s'il faut pour ça se tronquer à mort, pourquoi pas ? Ça vaut ce sacrifice ! Ça vaut ce sacrifice ! Que notre corps soit réduit à sa tuyauterie ! Que notre corps se réduise à ses soufflets ! Qu'il ne soit que cette soufflerie à sons de ce qui le troue — et qui est comme ce qui nous effondre, nous meut tous dans l'émotion et qui nous pousse à la dire. Qui en est donc comme l'origine. Oui ! Cet os est le point de départ de notre émotion et notre dire ! De notre dire qui cherche à dire notre émotion. Il est ce vibrato qu'on ressent tous quand on est ému, mais qui oh qui s'effondre, se brise, se casse — ou se barre ! — dès qu'on cherche à le dire ! Oui ! Que notre corps soit ça ! Même si toutes nos langues nous sont étrangères ! Toutes nos langues ! Tous nos sons ! Même les plus maternons ! Car c'est : désespérons désespérons ! Notre corps ne dit que parce qu'il ne sait pas dire le trou qu'il est et par où il sent ! C'est : désespé­rons, mais joyeusement ! Toutes les langues collent ! Toutes les langues engluent ! Toutes sont inaptes à dire ce qu'il y a au fond du trou du fond ! Mais rien de tel, pour bien sentir le poids de cet os, que de lire, et de sucer lentement et bien long­temps, ces chants de bouc de J.P.V. qui nous renvoient En avant : tout à l'Ego !, comme ils peuvent au trou de notre égout, et qui nous font être — oui être ! — dans une atmosphère de carnaval qui est une autre façon de faire chair !fût-elle obscène et caricaturale ! Chants oh chants qui ont ce petit goût d'os à mille lieues des moi-moiteurs ou des confesses de la dernière de nos poéteresses, à mille lieues de la chasse aux crimes et châtiments de la Zacadémie ou de la vieille bobonne usage ! Car hors de ça, hors de l'os, hors de cet état d'os, vraiment, tout le reste est ta-ta-ta-tature /Ara !

Vincent Tholomé