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Critiques de livres

Rapprocher la terre et le ciel
par Francine Ghysen
Le Carnet et les Instants n° 145

Le titre intrigue : Et je serai pour vous un enfant laboureur… Plus qu'à un livre – de foi, de réflexions, de récits, d'interrogations – il fait songer à une chanson, une comptine; une fable, peut-être?

L'épigraphe nous éclaire : c'est Barbara qui, dans une chanson peu entendue, venait à nous sous les traits confiants de l'enfant laboureur : «Je fais vivre ma terre pour vous offrir mes fleurs, mes fleurs…»

Très sensible, depuis des années, à la générosité, la force et la fragilité de «cette longue baladine noire», «la si tendre sauvage», Gabriel Ringlet n'hésite pas à ouvrir son dernier livre par un (surprenant) chapitre Barbara Jésus où il célèbre la secrète parenté entre «la femme piano et l'homme poème». Tous deux libres, portés par l'amour et le don de «vigiler» (un verbe inventé qu'affectionne notre auteur), engagés dans l'actualité de leur temps aux côtés des plus vulnérables, des plus abandonnés.

Sous l'invocation de Jésus, qui, «avec la charrue d'une parole vive», retourne l'Évangile, «une terre que chacun porte en soi», il veut nous persuader de labourer encore, toujours, ce terreau intime, pour qu'il reste fécond. De redécouvrir la naissance, le désert, la prière, la passion… À travers la Bible, mais aussi des contes de tous les horizons, les pensées illuminantes d'écrivains, de poètes ou de philosophes (Dostoïevski, Camus, Dino Buzzati, Jean Sulivan, Christian Bobin, Olivier Clément, Paul Ricœur…) et, surtout, des événements, des faits actuels, qui nous renvoient à l'essentiel.

Nous retrouvons bien ici le dessein de ce prêtre, professeur, écrivain, journaliste : garder ses lecteurs en éveil. Présents. Attentifs au monde comme à leur vie intérieure. Son souci constant de jeter des passerelles : entre les religions, entre religion et laïcité, entre la parole de Dieu (l'Eglise, insiste-t-il, doit ouvrir, renouveler son rapport au langage) et la parole du monde.

Réconcilier. Rapprocher. Renouer le dialogue. Relier. Gabriel Ringlet s'y voue avec conviction, chaleur, enthousiasme (jusqu'à s'émouvoir parfois de choses anodines, telle une chanson de Caria Bruni…!).

Comme Éric-Emmanuel Schmitt, dont le livre Oscar et la dame rose l'a bouleversé, il «ne prêche pas. Il raconte». Le désespoir du facteur de Châtelineau, mort de n'être pas écouté, compris. Le sourire du «vieux lion» Bartali, dominé par Coppi au Giro de 1949, qui nous confronte à une question fondamentale : «L'art de la vie veut-il qu'on se retire à temps?» Ou, au contraire, implique-t-il de «faire un Tour de trop et de rester, jusqu'à la fin, "en tenue de travail" (Luc 12, 35)»? Le chapitre du Nouveau Testament sur Lazare, que Raskolnikov, dans Crime et châtiment, demande à Sonia de lui lire, et qu'il commente ainsi : «La principale question de la résurrection n'est pas : y a-t-il une vie après la mort?, mais bien : y a-t-il une vie avant la mort?»

Retournant sans trêve l'Évangile, Gabriel Ringlet en suggère de nouveaux messages qui parlent au lecteur, fût-il incroyant : «Peut-être est-ce là le fond du fond de la chanson de l'Évangile : Jésus vient "tout près" dire à chacune, à chacun, que la musique de sa voix est particulière.

Même si vous êtes en ce moment sur un lit d'hôpital, même si la tendresse a déserté votre maison, même si votre chanson est désespérée parce que l'avenir vous paraît compromis… Dieu a besoin de votre chanson.»