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Critiques de livres


Amélie NOTHOMB
Robert des noms propres
Albin Michel
2002
170 p.

Un prénom pour la vie

Après avoir écrit des romans qui te­naient, entre autres, du conte de fées et de princesses (ou plutôt : du conte de monstres et de princesses), après avoir construit, au cours de ses livres et de ses interviews, son propre mythe, Amélie Nothomb se donne une autre mission : éta­blir la légende d'une de ses amies, la chan­teuse Robert. Oui, c'est bizarre ce prénom de garçon pour une fille mais il y a bien un chanteur qui s'appelle Katerine. Et cette ori­ginalité, Amélie Nothomb n'y est pour rien. Elles ne se connaissaient pas quand la de­moiselle s'est attribuée ce pseudonyme au début des années nonante, quand elle a commencé à chanter ses chansons pop minimalistes aux intonations très Mylène Farmer. Mais il faut préciser qu'à part l'un(e) ou l'autre fan qui aura repéré ça et là quelques éléments biographiques (et tout le monde dès que l'écrivaine aura commencé le marathon de ses interviews), le lecteur lambda n'apprend qu'à la fin du roman que Robert et Plectrude forment la même per­sonne. Ce prénom de Plectrude, par contre, doit être une lubie de la romancière. Il signi­fie en tous les cas qu'une vie « hirsute » (l'adjectif est de l'écrivaine), hors norme, a été destinée à la femme qui en est affublée. Et ce dès avant sa naissance : une nuit où elle n'est pas encore née, elle est prise d'un hoquet qui n'en finit pas, ce qui empêche sa future mère de dormir, la met de mauvaise humeur l'entraîne à vider un chargeur sur son mari. Parce qu'elle déteste sa normalité et qu'il n'a rien du prince charmant. Après le baptême de Plectrude, en prison, elle se tuera aussi. Le bébé sera confié à une famille (presque) normale — celle de sa tante. Sa mère d'adoption se comportera comme une véritable mère, avec ce que cela entraîne par­fois comme ravages : elle projettera sur sa fille ce qu'elle aurait voulu faire et n'a pas fait : une carrière de danseuse. Comme Plec­trude échouera également, elle la détestera et la reniera. Pourtant elle avait tout pour la danse, Plectrude : le don, la volonté et le re­gard. On la suivra de l'école maternelle (d'où elle sera renvoyée !) jusqu'à son chan­gement de carrière (après avoir vu Catherine Ringer des Rita Mitsouko à la télévision et assisté pendant quelque temps à un cours de théâtre, elle a décidé de devenir chanteuse), en passant par l'école des petits rats de l'Opéra où elle deviendra anorexique et se brisera la cheville. Plus que l'épisode à l'Opéra, c'est l'enfance tant chérie par l'écri­vaine qui ravit, car sa plume frondeuse s'amuse en inventant la vie d'une enfant vi­vante et farfelue. En inventant la vie ? Peut-être en lui donnant simplement les atours féeriques d'une de ses héroïnes. On ne sait pas. Ou plus. La romancière, par un retour­nement final qu'on ne révélera pas, nous fait hésiter et nous demander : qu'est-ce qu'on vient de lire. Réalité ? Fiction ?

Michel Zumkir