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Critiques de livres


André ROMUS
Toi terriblement
Montréal
Editions du Noroît
2004
88 p.

Carnet de bord amoureux

Les éditeurs québécois publient rare­ment de la poésie belge, qu'ils considèrent comme ressortissant à une littérature étrangère, sauf dans le cadre d'une collaboration avec un édi­teur belge, luxembourgeois ou français, ou lorsqu'un poète en vient justement à évoquer le Québec dans ses textes. C'est ainsi que Cari Norac, au terme d'une ré­sidence d'écrivain à Montréal, avait pu­blié un Carnet de Montréal aux Editions du Noroît en 1998. L'auteur de L’Eloge de la patience y montrait comment « à force de traverser une ville, la ville (l)e tra­verse, comme si l'image cinématographique s'inversait ». Dans des circonstances si­milaires, André Romus a pu écrire et faire paraître chez le même éditeur Toi terriblement. Le poète s'y révèle moins ar­penteur qu'amoureux : c'est la personne aimée qui guide ses pas, oriente sa marche, sa déambulation dans la ville. Montréal est une couleur et un accent, il est le décor concret où un amour brûle de se vivre. Aussi lisons-nous par mo­ments une poésie urbaine où les noms de rues et de quartiers, les québécismes et les formules en anglais interfèrent avec des flashes de la vie du couple comme en un film esthétisant, impressionniste : « Tu m'avais dit de prendre le métro jusqu'à "Laurier"  puis l'autobus 47 jusque chez toi. Il Tu es partout ici : rues blêmes de Rosemont un peu avant le carrefour de la pauvreté, détresse du dernier dépanneur, envol des désirs provisoires entre les braseros du jour et les impasses de l'enfance et de la faim. » La référence au cinéma pourrait d'ailleurs couler de source puisqu'André Romus fait allusion dans un poème au film Les morts de John Huston, cite dans un autre celui de Lars Von Trier Dancerin thé dark et intitule de la sorte un texte et une section complète du recueil. Tou­tefois ces rapports précis semblent relati­vement superficiels : demeure plutôt l'idée que l'existence est/n'est pas un script déjà écrit, est/ n'est pas une aven­ture à deux dont chaque épisode serait à l'avance connu. De même, le poète a beau utiliser plusieurs fois le mot dépan­neur — qui désigne en français du Qué­bec un magasin ouvert à presque toutes les heures et qui offre aux clients des pro­duits de consommation courante —, l'impression s'impose que Toi terrible­ment aurait pu s'écrire ailleurs, à New York, à Paris, à Bruxelles — voire, en fai­sant un effort d'imagination, à Liège ou à Quaregnon. La poésie de la ville en effet — et d'une ville en particulier — cède généralement le pas devant une ly­rique amoureuse qui n'est pas des plus originale. Ecrivant en prose ou en vers libres informes, André Romus exprime le besoin ou le manque de l'autre tantôt avec une extrême simplicité : « L'hiver viendra : déjà, je le sens proche : mes pas ne sauront alors où se rendre et, dans la ville souterraine, je feindrai de me croire à l'abri de la neige, des verres vides, de ton cou » ; tantôt en recourant à de clin­quantes métaphores où abondent alors les sempiternels compléments déterminatifs éluardiens tels que « les pages de ton corps », « l'écran nocturne de ton dos », « mes territoires de sommeil», « l'incendie d'une dernière lampe », etc. Ces images ont bien dû être inouïes un jour, mais elles contribuent surtout à affadir sensi­blement un ensemble qui ne s'avère hélas pas inoubliable.

Laurent Robert