Contes cruels
Décidément, sur le plan belge, ce sont les « auteures » (comme les pedzouilles disent) qui nous représentent, non sans brio, dans la célèbre Série noire : et la coruscante Pascale Fonteneau, et la décoiffante Nadine Monfils. Il y a deux ans, avec Une petite douceur meurtrière, cette dernière nous enfonça dans des zones hyperglauques dont on ne sortait pas indemne. En exergue, cette citation de Rainer Maria Rilke aurait pourtant dû nous mettre la puce à l'oreille : « Que vaudrait la douceur si elle n'était capable, tendre et ineffable, de nous faire peur ? Elle surpasse tellement toute la violence que, lorsqu'elle s'élance, nul ne se défend. » Ce polar bizarroïde, mâtiné de conte grand-guignolesque, avait tout pour plaire, avec son ambiance « disjonctée », faisant flirter le cauchemar avec le rêve humide.
Nul ne saura jamais si l'énigmatique dépeceur montois l'a lu ou non, toujours est-il qu'il aurait pu retrouver dans ces pages de quoi alimenter ses fantasmes les plus délirants. C'est restant sur cette excellente impression (mais oui) que l'on n'hésite donc pas trop à se hasarder dans Rouge fou, un petit roman qui paraît de la même succube chez Flammarion. Il était une fois un petit Chaperon Rouge, répondant au nom de Sanguine, qui, déçue du piteux quotidien de son couple qui bat de l'aile, opte pour le décollement de la routine et s'envole en quête d'une existence plus exaltante que cette petite mort douce entre la télé et fer à repasser. Conjurant son léger vague à l'âme par des errances dans Paris, la grande forêt des loups, elle attache ses pas, comme aimantée, à ceux d'un individu inquiétant, au regard aussi profond que les ténèbres, vêtu d'un long manteau noir et excentriquement chaussé de rouge. Dans la rue Croix-des-Petits-Champs s'ouvre une galerie, le passage Véro-Dodat, où se tapit la boutique d'un marchand d'antiques poupées de porcelaine, dans laquelle pénètre l'homme étrange et, à sa suite, l'innocent oiseau pour le chat. Prétendant être la réincarnation de Charles Perrault, le bougre embobine la candide avec des histoires cousues de fil blanc, lui proposant de lui livrer un terrible secret à condition qu'elle accepte d'absolument tout lui donner d'elle, tant son corps fluet que son âme chavirée. La curiosité (un bien vilain défaut) l'emportant sur la trouille, Sanguine se prête aux jeux du mythomane, préférant à la morne réalité le rêve, fût-il dévorant comme le sont les ogres. Téméraire, la jeune femme en mal de sensations fortes se résoud à retourner souventes fois dans la boutique, qui tient davantage de l'officine d'un sorcier, fermement décidée à en savoir plus long sur ce pervers mentor et sa révélation de polichinelle. Même si les dangers auxquels s'exposera l'inconsciente héroïne purent laisser présager une issue dramatiquement croustillante, le conte se dénoue comme une bluette, l'amour foufou venant tout arranger avec un nez de clown. Bref, ça ne laisse pas un souvenir impérissable...
André Stas