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Critiques de livres

Michel Rozenberg
Les reflets de la conscience
Roisin
Euryale
244 p.

Sortir d'un mauvais rêve
par Michel Paquot
Le Carnet et les Instants n° 152

Sous l'ombre tutélaire de Jean Ray et de Thomas Owen, Michel Rozenberg construit une oeuvre empreinte de fantastique qui l'impose aujourd'hui comme l'un des chefs de file francophones de ce genre littéraire. Publié chez un petit éditeur wallon, Les reflets de la conscience, son troisième recueil de nouvelles après Les maléfices du temps et Altérations, confirme sa maîtrise dans l'art de construire en quelques pages des intrigues angoissantes où paranoïa et troubles identitaires font bon ménage.

Car c'est bien de cela qu'il s'agit dans la majorité de ces textes : d'une interrogation du personnage principal, tantôt narrateur, tantôt présenté à la troisième personne, sur son propre moi qui, soudain, part en vrille. Le héros de «Tout n'est qu'illusion», après avoir échoué à entrer dans sa voiture, se rend compte qu'au sein de son entreprise où il doit passer un entretien pour obtenir le poste de directeur, il est un parfait inconnu. Commence pour lui une dégringolade qui semble inéluctable. Dégringolade dont est également victime le protagoniste d'une autre nouvelle, la bien nommée «Proximité des extrêmes». Ce cadre à la limite de l'arrivisme termine fort mal ses vacances à Rome : après avoir heurté une miséreuse avec sa voiture, il est dépouillé de ses papiers par l'employée de l'hôtel qu'il avait cru séduire. Mais ce n'est rien en regard de ce qui l'attend à son retour en France. Il découvre en effet avoir commis des actes — téléphoner, rendre visite à sa mère, vendre des actions — dont il n'a pas le souvenir. Ou est-ce un double en tous points pareil à lui qui opère à sa place?

Pour ces individus prisonniers de rets dont ils ne parviennent pas à s'extraire, toute justification est impossible. Qui les croirait? Le narrateur d'«Alessandra» en fait d'ailleurs l'amère expérience. En séjour à Venise, attiré par un timide appel au secours, il s'introduit dans un magasin présentant en vitrine un bric-à-brac d'objets divers, dont des masques de carnaval. S'ensuit une série d'événements qui l'entraîneront sur un chemin sans retour possible. Et ce bibliothécaire qui, dans «Indécences», fantasme sur les lycéennes sexy montées dans le bus qu'il prend quotidiennement, comment se retrouve-t-il avec l'une d'elles dans un hôtel dont il ignorait même l'existence? Ou par quel étrange phénomène cette psychologue, dans «Jusqu'au bout des rêves», est-elle incapable de contrôler sa voiture en se rendant à l'hôpital où elle travaille?

Parfois, les personnages ne sont pas seuls, comme les amis de «Chinoiseries». Mais sont-ils pour autant mieux protégés des facéties du destin? Au terme d'un repas dans un restaurant asiatique, trois jeunes gens en vacances découvrent au centre d'une friandise proposée avec des serviettes chaudes non pas un mais deux messages censés leur prédire l'avenir. Cela arrive tous les dix ans, leur avoue le vieux restaurateur, et n'annonce rien de bon. Celle qui eu le papier en trop s'en rendra effectivement compte.

Le point de départ de ces différents textes d'une excellente tenue littéraire s'ancre toujours dans un quotidien qui pourrait être le nôtre. Pour bifurquer dans des directions que l'on se réjouit de ne pas avoir à prendre.