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Critiques de livres

L'amour à mort
par Jeannine Paque
Le Carnet et les Instants n° 145

Avec L'incendiaire, Martin Ryelandt aborde le roman. Du moins, la première et la quatrième de couverture l'indiquent. Il raconte bel et bien une histoire, ou plutôt une possibilité d'histoire, une intrigue à deviner plus qu'à lire, d'une adresse à l'autre, dans un suivi décalé. Le commentaire de Daniel De Bruycker le signale au dos du livre : «Tantôt "Il", tantôt "Elle" : c'est donc un roman à deux voix…» En effet, deux «nœuds de nerfs», deux cœurs «affamés et anorexiques à la fois», deux détresses parlent, sans se parler vraiment parce qu'elles s'écoutent peu.

Attribués à «Il» ou à «Elle», les chapitres d'une prose incantatoire et bruissante qui se succèdent tiennent parfois plus du poème que du roman. À moins que l'auteur n'ait voulu faire du roman un poème, ou encore du poème un roman, en souvenir de Rimbaud, auquel il voudrait tant ressembler, tout simplement, car «Rimbaud suscite l'envie d'être Rimbaud». «Être Rimbaud, avoir la grâce»… Pas facile à assumer au demeurant. Tout comme la perfection du vol de l'oiseau est insupportable à vivre pour le chat!

Ce récit d'amour et de fureur retrace parallèlement le difficile parcours d'une écriture qui se cherche : concept réfléchi ou geste machinal, car «seulement copier, ça aide». Mais comment décrire «l'exquise douleur» quand la virtuosité lexicale ne suffit pas? Comment évoquer la difficulté de vivre avec le seul langage de l'hôpital psychiatrique, les mots de la «santé mentale»? Comment dire la femme aimée, ses petits pieds «en forme de virgule» sans la quitter, l'abandonner? Projet ambitieux et complexe que celui-là! L'homme veut tout : aimer, soigner les arbres, incendier le maquis, pratiquer l'écoguerre, changer le monde. Lancer un défi «au cheminement fatal de la vie». En bref, au lieu de «s'endormir et attendre que ça passe», comme «elle» le fait, choisir, ce qu'il résume ainsi, de «vivre jusqu'à sa mort». C'est pourtant «elle» qui aura le dernier mot, envers et contre «il», et surtout contre la mort. De beaux éclairs zèbrent le texte et arrachent l'amour au huis clos. Car «les rêves ne mentent pas» et l'émotion se manifeste «à ciel ouvert». Le feu destructeur et salutaire renouvelle l'illusion qu'un recommencement est toujours possible.

 

Martin Ryelandt, L'incendiaire, Carnets d'Ostrov, 168 p.