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Critiques de livres

Tours, détours, aux alentours des marches du palais

On dit qu'à l'instant de mourir, on revoit les images marquantes de la vie, un défilé d'instantanés, un flo­rilège d'instants heureux ou malheureux, d'instants forts. On le dit. Il y a parfois dans la vie aussi comme des agonies ou comme des envies de meurtres peut-être qui engendrent la même sensation. La mort n'est pas là, mais l'idée de la mort, en tout cas, plane autour et alentours. Et les images défilent, violemment.

C'est dans cette zone douloureuse que nous emmène Emmanuelle Sandron, avec l'hé­roïne de son récit, Sarah Malcorps. Un nom un peu trop peu énigmatique, soit dit en passant. Une structure un peu trop sim­pliste : chapitre et contre-chapitre, marches et contre-marches. Bonheur versus malheur. Alors que les nœuds de l'histoire sont, eux, si peu évidents, si ténus. Sarah Malcorps a trente ans, une blondeur sauvage, un corps frêle, une démarche de grand oiseau « qui lui donne l'air de vouloir piquer du bec à chaque pas, comme sous l'effet d'une tête trop lourde ou trop pleine. » Elle déambule dans le cimetière de la ville de son enfance à faire l'inventaire de ses morts. Rencontre à peine Odile, sa tante, qui a posé les roses rouges sur la pierre bleue et froide. « On repart du cime­tière après cinq minutes, l'âme béante. » Rien à dire, à nouveau. « Qu'il est lourd le silence des familles volubiles ! ». Sarah boit du Sauternes ou du Liebfraumilch, se roule un joint, s'endort au Lysanxia, aspergée de citronnelle. A moins que ce soit l'inverse. Sarah se berce de souvenirs en déambulant dans le parc près du Palais de Justice. Sarah goûte l'enfance, le sandwich blafard au poulet curry de sa mémoire et les souvenirs des jeux enfantins lorsque ses parents la balancent au-dessus de l'eau noire pour l'effrayer gentiment. Gentiment ? « Plouf dans la Cendre ! » C'est elle qui va les balancer, cette fois : tous ces tours détours aux alentours du Palais de Justice, c'est pour se donner la force d'aller à 15 heures, porter plainte pour viol contre son père et, contre sa mère, pour non-assistance à personne en danger. « J'ai porté cette plainte en moi comme on porte en soi un enfant, pendant deux fois neuf ans. Je la dépose devant vous comme on dé­pose enfin un fardeau trop lourd dont on se sentait prisonnier, d'autant plus prisonnier qu'on en avait oublié les barreaux. » C'est peut-être cet oubli qui rend difficile l'empathie pour le personnage de Sarah. Comme si l'auteur voulait nous empêcher de l'aimer, de nous associer à sa peine. De­puis la description du personnage, jusqu'au délire de sable au Palais de Justice qui condamne ses parents à errer dans la frêle carapace de crevettes débiles, bientôt déchi­quetées par les flots, en passant par le voyage inconséquent à Tanger, c'est dans la haine de soi qu'Emmanuelle Sandron enferme son héroïne. Les images évoquées ici, entre dé­lire, parodie et inexistence sont loin de la force des images des prisons imaginaires de Piranese qui entourent pourtant Sarah comme autant de puissantes références.

Nicole Widart

Emmanuelle SANDRON, Sarah Malcorps, Luce Wilquin, coll. Lucioles, 2001, 80 p.