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Critiques de livres

Agnès Sautois
Elvira Puccini, une vie
Bruxelles
Le Grand Miroir
2007
234 p.

Puccini, passionnément
par Ninon Darcole
Le Carnet et les Instants n° 149

Lorsqu'elle visite en 2003 la maison natale du compositeur italien Giacomo Puccini, à Lucca, Agnès Sautois, enseignante de français et d'histoire mais surtout passionnée de musique et d'art lyrique, est interpellée par quelques mots d'une lettre écrite par Elvira Puccini, la femme du maestro. Ces quelques mots déclenchent l'envie d'en savoir plus sur cette femme de l'ombre. Sa quête l'amène à penser qu'Elvira est sans doute l'héroïne puccinienne la plus complète…

Agnès Sautois publie donc aujourd'hui aux éditions Le Grand Miroir, dans la collection «Une vie», une œuvre intitulée Elvira Puccini. Très vite, on devine que l'écrivaine est beaucoup plus séduite par Giacomo que par Elvira et que la reconnaissance ou la critique de l'œuvre de Puccini sont en fait au cœur du livre. Cet ouvrage aurait pu s'appeler Les femmes de Puccini ou plus justement encore Puccini, passionnément.

Deux cent trente-deux pages à la recherche de Puccini, entre arbre généalogique et bibliographie inspirée : voici en fait la véritable nature de l'histoire. Certes, il y a des leurres. Un avant-propos, qui ne s'annonce pas comme tel, cadre l'évocation de la vie du musicien et rappelle que l'œuvre de Puccini fut décriée par «des observateurs pressés ou malintentionnés» qui y virent misérabilisme, pathos excessif, racolage voire pompiérisme. Ensuite, en quelques pages, l'auteure nous fait rencontrer Elvira, une jeune femme de Lucca, enceinte de son deuxième enfant, épouse d'un ami d'enfance de Puccini. Portrait fantasmé d'une femme qui dans un instant de vérité se confronte au miroir et se trouble au souvenir du musicien. Dommage que cette évocation n'aille pas plus loin. On aime bien cette jeune femme palpitante coiffée d'une couronne de tresses aux reflets dorés, qui ose défrayer la chronique de Lucca pour vivre sa passion. On a envie de voir avec elle la douceur du sourire de Giacomo Puccini, l'éblouissement amoureux de leurs rencontres. Mais Agnès Sautois semble en fait, très vite, au bout d'une dizaine de pages, abandonner son héroïne pour décrire la vie du musicien. Ce sont les yeux du musicien qui nous donnent à voir Elvira. Elvira la tendre, l'aimée, puis Elvira la jalouse, Elvira désespérante, collante, insupportable. «Qui a le mauvais œil», dira même son mari, excellent prétexte pour la maintenir loin de la vie musicale, loin des créations, loin des premières… Car Puccini tombe très souvent amoureux des chanteuses qui incarnent ses héroïnes. L'âge aidant, la gloire venue, ce sont les soubrettes ou les jolies femmes en villégiature qui le tentent aussi, exacerbant la jalousie d'Elvira. Une jalousie morbide qui provoquera le suicide d'une jeune bonne amoureuse du maestro, injustement accusée d'être sa maîtresse et poursuivie par les calomnies et la méchanceté de l'épouse légitime. Cette mort injuste réussira à séparer quelque temps Elvira et Giacomo. Mais, malgré ces maîtresses, ces colères, ces reproches, ces tourments, le couple durera quarante ans, jusqu'à la mort du compositeur, à Bruxelles, en novembre 1924.

La passion que suscitent Puccini et son œuvre continue des décennies plus tard. Certains directeurs d'opéra détestent l'œuvre puccinienne, passionnément, et refusent de l'inscrire à leur programme avec virulence. D'autres font jouer Tosca ou Madame Butterfly et font salle comble. Puccini pompier, vulgaire, démagogique ou Puccini au-delà des modes, sensible, génial orchestrateur, émouvant, proche du public, universel? Le combat continue, les paris restent ouverts.

À travers la relation de la vie du musicien, des témoignages, des lettres, des analyses de Marcel Marnat, Agnès Sautois tente de dresser un portrait plus convaincant du compositeur, de ses doutes, de ses errances, de sa volonté de ne pas être à la traîne, de ne pas être synonyme de musicien du passé. Il fréquente Debussy, Mahler, Schœnberg, essaie d'obtenir leur amitié. Agnès Sautois va s'attacher à montrer que le compositeur est à ses yeux un musicien de génie. Son livre, né de l'envie de redonner vie à Elvira, femme de l'ombre, cherche avant tout à rendre justice à la musique de son mari. Serait-ce qu'Elvira, décrite comme une harpie, est tout à la fois Mimi, Tosca, Madame Butterfly… une inspiratrice de génie?