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Critiques de livres

René Schoonbrodt
Vouloir et dire la ville
Bruxelles
AAM Éditions
2007
524 p.

La ville pensée et racontée
par Francine Ghysen
Le Carnet et les Instants n° 152

Susciter un débat sur le sens et le devenir de la ville, à l'époque où la destruction du patrimoine culturel de Bruxelles, commencée dès les années cinquante au nom de la «modernisation», n'inquiète personne. Impliquer les habitants dans la défense de leur cité, la participation à son aménagement. Tels étaient, en 1969, les objectifs des fondateurs de l'Atelier de recherche et d'action urbaines. Ces empêcheurs de saccager en rond, ces opposants à un urbanisme du fait accompli, qui prétendaient rendre les habitants acteurs des transformations de leur ville.

Aujourd'hui, le plus emblématique d'entre eux, le sociologue René Schoonbrodt, qui présida l'ARAU durant plus de trente ans, retraverse quatre décennies de participation citoyenne à l'histoire vivante, turbulente de Bruxelles, dans un livre touffu : Vouloir et dire la ville. Tout à la fois mémoires, bilan, manifeste, perspectives d'avenir.

Recherche et action, réflexion et intervention avaient, dès le départ, partie liée à I'ARAU. En témoignent, à côté des combats sur le terrain, les Écoles urbaines, les Midis de l'urbanisme, les voyages d'études et visites guidées. Point de lutte sérieuse sans un «socle intellectuel» sur lequel l'appuyer : c'est une des convictions de René Schoonbrodt, qui n'a cessé de vouloir apprendre, se former, informer, sensibiliser les habitants à la protection du patrimoine, au «droit à la ville».

 

Georges Lebouc
Histoire insolite des rues de Bruxelles
Bruxelles
Éditions Racine
2007
206 p.

Il était temps de se mobiliser. De faire entendre d'autres voix que celles des promoteurs, des responsables politiques, des administrations qui, négligeant la dimension humaine de la ville, privilégiaient les grands parkings, la prolifération des immeubles de bureaux, les autoroutes de pénétration (on envisagea même un petit ring qui enserrerait la Grand-Place et l'Îlot sacré!).

L'auteur nous relate par le menu les campagnes, débats, contre-projets portés par l'ARAU. Avec deux priorités : le logement; la démocratisation des processus de décision, qui brillaient par leur opacité… Une école de vigilance, d'endurance, d'opiniâtreté, face aux lenteurs, tergiversations, arguties déployées par des autorités longtemps peu disposées à la concertation… «J'ai un tempérament à ne jamais me décourager», confie-t-il au détour d'une page.

Il revit les victoires : quartiers reconstruits, ou sauvegardés, telle la Vieille Halle aux Blés, menacée de disparition au profit de quatre tours de bureaux! Les défaites, dont l'une des plus cuisantes fut l'érection avenue Louise, en 1973, de la tour ITT, qu'on nous promettait «translucide» (sic) et garante de trois mille emplois. Ironie amère : quelques années plus tard, la firme multinationale désertait les lieux mais laissait derrière elle un sinistre mastodonte qui écrase à jamais le site exquis de l'abbaye de la Cambre.

Par chapitres qui sont autant de tableaux («La participation», «Le quartier Nord ou les brutalités de l'urbanisme»…), René Schoonbrodt retrace un parcours personnel et collectif qu'il résume sans complaisance : «Comme chacun de nous, j'ai commis bien des maladresses vis-à-vis de mon entourage proche et éloigné, et des erreurs politiques plus ou moins lourdes de conséquences. Pourtant j'ai vraiment eu le projet de vivre sous l'intitulé de "l'unité de la vie morale".»

Sa conclusion, forte de quarante ans d'engagement passionné, résonne comme une promesse :

La cité bâtira la ville.» Il l'assortit d'un conseil aussi sérieux que malicieux : «Fuyez tous ceux qui veulent la ville à votre place!»

D'une philosophie de la ville au roman des rues, le registre change.

Georges Lebouc a pris visiblement plaisir à composer une Histoire insolite des rues de Bruxelles, qu'il a eu l'idée de grouper par thèmes. Ainsi nous promène-t-il des rues «forestières» aux rues «bibliques», des «colorées» aux «héroïques»… Un vagabondage joliment illustré de gravures anciennes, plein de sourires et de découvertes.

Au programme : l'origine des noms des rues, leur traduction souvent fantaisiste d'une langue à l'autre, les changements parfois savoureux qu'ils ont subis selon les époques. Ainsi, lors de l'Occupation française :

Les révolutionnaires ne voulaient plus lire la moindre allusion à la religion. Ils firent parfois preuve d'un certain humour. C'est ainsi que la rue Saint-Pierre devint rue de la Clef et rue Saint-Hubert rue du Chasseur! On éjecta la rue du Paradis au profit de la rue de l'Olympe. Même la rue des Paroissiens devint celle des Amis. Quant à la rue des Moines, elle se mua, par dérision, en rue des Exclus! La meilleure de ces mutations fit passer la rue Notre-Seigneur en rue de Voltaire!

L'auteur peuple ces artères, ces places, ces galeries de personnages, au gré d'évocations et d'anecdotes : de Charles-Quint à Victor Hugo, de Pieter Bruegel l'Ancien au prince de Ligne… Rappelle les événements dont elles furent le théâtre. Nous raconte comment Bruxelles eut son jardin zoologique, devenu le parc Léopold, ses vignobles, et même son dirigeable, baptisé le «Belgique», qui «fit une première sortie officielle et triomphale devant des dizaines de milliers de personnes le 4 août 1909». Ressuscite des lieux charmants, comme l'inoublié jardin du Mont des Arts, conçu en 1910 à l'initiative de Léopold II (et sur ses fonds propres!), remplacé dans les années cinquante par «cette morne plaine entourée de murs couverts de tags» jouxtant la Bibliothèque royale.

Nous revoici confrontés aux mésaventures de la «modernisation». La boucle est bouclée. Regrets compris…