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Critiques de livres

Liliane Schraûwen
Race de salauds
Quadrature
Louvain-la-Neuve
2005
188 pages

Cri intérieur
par Jack Keguenne
Le Carnet et les Instants n° 142

Avec un titre aussi sec, Race de salauds, Liliane Schraûwen risque d'effaroucher nombre de lecteurs. Si, en y réfléchissant quelque peu, on imagine vite que cette race ouvre de vastes horizons, le titre a néanmoins tout de la formule façonnée à l'emporte-pièce, tranchante et définitive. A lire le livre, on s'aperçoit qu'il faut nuancer : il y a, certes, une part de provocation dans cet intitulé, mais aussi une forme d'outrance car, en trois mots emblématiques, elle force le trait de ce qu'elle décrit pourtant avec beaucoup de subtilité.

Évidemment, je ne sais pas ce que Liliane Schraüwen pense, je vais me limiter à tenter de refléter ce qu'elle écrit. Toutefois, si j'extrapole les situations de ses nouvelles à ce que je sais de la vie contemporaine, je tendrais à dire qu'elle n'est pas vraiment optimiste et doit sûrement être méfiante malgré une certaine capacité – une envie? – d'abandon. Et puis, on pourra dire aussi qu'elle prend parti et qu'en tant que femme, elle voit surtout des salauds parmi les mâles. Ou qu'elle exagère…

Non, je ne suis pas un homme sur la défensive face à ce genre de propos; j'ai assez l'habitude de la lecture des journaux – par exemple – pour savoir que si Liliane Schraûwen en remet parfois une couche, fondamentalement, elle se rebelle à bon escient, avertit avant qu'il ne soit trop tard ou crie quand la douleur est trop forte. C'est salutaire pour l'hygiène sociale et, si les mots ont le moindre pouvoir, ceci devrait vacciner contre les bassesses, bêtises, mesquineries et autres velléités d'abus de toutes sortes, dont l'abus de pouvoir.

Dans cette quinzaine de nouvelles, l'auteure se révèle bien plus fine analyste que son titre ne le laisse supposer; à l'inverse même, elle est toute dans les raffinements de l'introspection. Elle travaille en horlogère de la vie intérieure, scrutant le mouvement des rouages de l'intimité, du ressort des sentiments, du balancier de la tendresse et ce remontoir fou qui fait exploser les mécanismes. L'écriture est nette, claire, précise, mais, loin d'être froide, elle charrie sa part de sentiments. Et l'on sent chez Schraûwen, malgré sa virulence, une envie de (laisser) céder au prochain geste d'amour, en espérant que cette fois… La vie se perpétue de cette attente, même si elle se peuple maintenant de trahisons.

J'aime moins quand elle parle de vengeance et elle se répète parfois, mais les despotes minuscules sont si nombreux et les sentiments qui nous animent si limités… J'aurais préféré aussi ne pas lire la première nouvelle, trop longue et redondante, qui brûle les cartouches d'émotions bien mieux dites par ailleurs. Le meilleur est dans les nouvelles brèves, les monologues.

Dans l'ensemble, chaque paragraphe plonge avec justesse au cœur d'une douleur, tantôt infligée, tantôt ressentie. Schraûwen déploie sa voix de femme avec une assurance, une revendication et une détermination rares.