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Critiques de livres


Marie-Jeanne DÉSIR
Sofa Blues
Bruxelles
Éditions La Part de l'œil
2000
76 p.

Psychanalyse surréaliste

La Part de l'œil est le nom d'une revue de haute tenue intellectuelle parais­sant une fois l'an depuis 1985 et si­tuée au croisement des arts plastiques et des sciences humaines. En 1996, La Part de l'œil est devenue également une maison d'édition qui publie des ouvrages théo­riques prolongeant la revue, mais aussi quelques textes de fiction. Le cinquième d'entre eux s'intitule Sofa blues et est signé Marie-Jeanne Désir.

Comme le titre le laisse deviner, ce texte est centré sur une cure psychanalytique qui rythme les jours de la narratrice. À la sortie de ses séances, elle se réfugie invariablement dans le café du Théâtre de la Place, pour prolonger la réflexion qu'elle a entamée sur le divan. De son présent, le lecteur ne saura pas grand chose de plus : il ne la verra ni chez elle ni sur son lieu de travail, la topologie du texte étant réduite à ces deux lieux : le cabinet de l'analyste, le café. Par contre, il sera bien entendu question de l'enfance de la narratrice... Cependant, très vite le récit des premières années prend un tour fantasmatique, presque irréel, l'imaginaire de l'enfance étant posé sur le même pied que le réel, comme dans certains romans de Savitzkaya. La cure se trouve alors contaminée par le regard enfantin et elle est décrite de ma­nière de plus en plus fantaisiste au point que le texte en devient franchement surréa­liste : le psychanalyste ne cesse par exemple de prendre des formes inattendues, Sher­lock Holmes, commissaire de police (son cabinet est d'ailleurs situé place du Con­grès, cette place de Liège sur laquelle veille le buste de Simenon), mère aux seins char­gés de lait, diable sentant le soufre, tandis que la narratrice elle-même mute et devient une poule ou un enfant. Grâce à ce parti pris, Marie-Jeanne Désir évite de sombrer dans le réalisme égocentrique qui menace tout récit de ce genre. Il ne peut être ici question de retracer les liens étroits et conflictuels qui, depuis Freud et Breton, unissent la psychanalyse et la litté­rature. Constatons simplement qu'il est dif­ficile de retracer une cure par écrit, le risque étant de produire une sorte d'analyse au carré. Tel n'est pas le cas de Sofa Blues qui fait pleinement partie de la littérature et même, à plus d'un égard, de la poésie. Le style de Marie-Jeanne Désir est en effet riche et musical, plein de grâce et trahissant un véritable amour des mots. Bien plus, en abordant son univers propre sous les auspices de l'imaginaire, la narra­trice donne une forme palpable et littéraire, à ce qui constitue peut-être le fond de sa névrose : un rapport décalé au monde : « aujourd'hui encore je doute de ma réa­lité », avoue-t-elle au début de son récit. En bousculant le réalisme, le texte mime ce doute. À la fin du livre, la narratrice décide d'interrompre la cure alors que celle-ci semble buter sur la problématique du lien et de l'amour. Cette fin précipitée annonce-t-elle une entrée en littérature ?

Laurent Demoulin