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Critiques de livres


Daniel SOIL
Comme si seule une musique
Luce Wilquin
2005
226 p.

Le passé composé

Comme si seule une musique, deu­xième roman de Daniel Soil, est un magistral exercice de compo­sition du passé. Il organise, comme en se jouant, le tourbillon de quatre vies qui s'entremêlèrent pour leur bon plai­sir à l'aube de l'époque tourmentée que fut la Seconde Guerre mondiale. Au bord du lac de Côme, Gloire reconsti­tue pour sa fille adoptive, Felicity, l'his­toire que vécut le quatuor d'amis dont elle fit partie. C'est, en effet, en Italie en 1936, que Gloire, jeune historienne de l'art, rencontra Vital, alors diplomate belge, et c'est sur une île du lac de Côme qu'elle fit la connaissance de Luca, militant antifasciste juif italien assigné à résidence par le régime de Mussolini. Gloire et Vital aidèrent Luca à quitter l'Italie et à s'installer en Bel­gique où il demanda et obtint sa naturalisation. Durant l'été 1938, la guerre paraît encore improbable pour des jeunes gens dont les corps et les cœurs s'attirent. Maîtresse un soir de Vital lors de son séjour en Italie, Gloire s'est éprise de Luca, alors que Vital est tombé amoureux de Flore, la meilleure amie de Gloire. Mais les désirs sont moins simples, qui s'entrecroi­sent lors d'une escapade en Zélande. De jeux pas toujours in­nocents naîtra Felicity, fille de Flore et... de l'amour qui unit le quatuor. Les vacances à la mer du Nord, cette année-là, ce fut le moment de grâce, ce temps qu'il aurait fallu arrêter au lieu que tout se rompe et bascule : « Parfois j'aimerais que tout reste en l'état, comme ça, comme c'est au­jourd'hui, écrit Flore dans son journal, tout irait comme à l'habitude, le monde resterait tel qu'il est, mes amis et moi aussi. » Mais ensuite vinrent la guerre et l'heure des choix : Luca combattit dans l'armée belge, fut fait prisonnier, en­voyé dans un stalag jusqu'à l'épuise­ment de ses forces, alors que Vital et Flore s'installèrent aux Etats-Unis. Ce­pendant, la fuite ne fut qu'illusion : Flore fut bientôt atteinte d'un cancer et mourut, peu après la naissance de Feli­city ; Vital revint se battre en Europe, où étaient son devoir et sa mort. Histoire poignante et belle, Comme si seule une musique est peut-être d'abord une forme. En premier lieu apparaît le récit de Felicity, qui relate les confi­dences que Gloire lui fait au bord du lac de Côme, le lent et progressif dévoi­lement du passé, comme un jeu de piste auquel la jeune femme devrait se sou­mettre. Il est entrecoupé de trois témoi­gnages écrits que Felicity découvre suc­cessivement : le Journal de Flore Vaessens qui évoque le bonheur de l'été 1938 ; une longue lettre de Luca à Gloire, rédi­gée en décembre 1940, dans le Sta­lag IV de Lùbeck ; et un « tombeau » de Flore, ample poème en vers libres com­posé par Vital à Los Angeles, en dé­cembre 1941. En outre, le texte est tra­versé par un motif récurrent : lors de ses recherches sur l'île du lac de Côme, Gloire découvrit une partition de l'Orfeo de Monteverdi, œuvre qui deviendrait pour les quatre amis une référence com­mune. La scène finale constitue une manière de da capo, puis­qu'elle voit deux couples de jeunes musiciens d'origines dif­férentes, rencontrés par Gloire et Felicity, se réunir sur l'île pour y interpréter la pièce du compositeur italien. Si le sym­bolisme des dernières pages est sans doute trop appuyé, Daniel Soil excelle en revanche à mul­tiplier les détails concrets qui confèrent à ses personnages épaisseur et humanité ; et, pour traduire les plaisirs à jamais per­dus, son écriture se fait gour­mande, sensuelle.

Laurent Robert