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Critiques de livres

Frédéric Sojcher
Manifeste du cinéaste
Monaco
Éd. du Rocher
2006
280 p.

Le cinéma comme il se fait
par Daniel Arnaut
Le Carnet et les Instants n° 144

Frédéric Sojcher a réalisé plusieurs films dans des genres différents : courts métrages avec, notamment, Fumeurs de charme (1985), long métrage de fiction avec Regarde-moi (2001) et documentaire avec Cinéastes à tout prix (2004). Il est aussi enseignant en cinéma à l'université de Paris-I, et auteur ou coordinateur de plusieurs ouvrages sur la question. C'est fort de cette triple expérience qu'il publie aujourd'hui ce Manifeste du cinéaste au titre quelque peu déroutant. Le livre s'articule en effet autour de deux parties principales dont la première («Le cinéaste : un solitaire et son équipe») aborde la mise en scène, tandis que la seconde («L'exception cinématographique») analyse le statut particulier du cinéma, entre art et industrie; s'y ajoutent une annexe («Le cinéma peut-il s'enseigner?») consacrée aux questions de méthodologie et de pédagogie, une bibliographie commentée et, in fine, deux pages qui donnent leur titre à l'ouvrage.

D'emblée, il cerne les limites de son propos : «Je tente de définir les fonctions et les responsabilités du cinéaste. Je ne veux pas donner de mode d'emploi, ni écrire un livre de recettes, mais montrer par quels cheminements chaque cinéaste trouve sa mise en scène et fait face aux contingences qui jalonnent toujours un film.» Il précise un peu plus loin : «Ce ne sont pas des analyses de films que je souhaite ici entreprendre : davantage une interrogation ontologique sur le cinéma.» Ce qu'il fait en puisant tantôt dans sa propre expérience (à commencer par les déboires de son premier long métrage, qu'il a relatés précédemment dans un livre intitulé Main basse sur le film), tantôt dans celle des autres réalisateurs, qu'ils lui ont confiée personnellement ou qu'ils racontent dans des livres ou des interviews. Programme alléchant et ambitieux, dont les promesses ne sont que partiellement tenues dans les deux cent quatre-vingt pages de ce livre. C'est que, comme toute forme de création, mais plus encore qu'aucune autre, le cinéma est un art complexe, où la réussite est tributaire d'une multitude de facteurs, techniques, financiers, humains, engendrant une diversité d'approches presque infinie. D'où la difficulté d'en rendre compte sans tomber dans des généralités inopérantes («La direction d'acteurs est difficile à cerner, tant elle repose sur l'indicible émotionnel»; «La direction d'acteurs restera insaisissable et gardera toujours sa part de mystère») ou des considérations convenues («La finalité et la logique de l'audimat entraînent chaque jour davantage la planète globalisée dans une médiocratie médiatique»). La même remarque vaut pour le court chapitre qui clôt le livre, où, en dix propositions, l'auteur présente ce qui apparaît moins comme un «manifeste» que comme un vade-mecum de l'apprenti réalisateur : «Est cinéaste celui qui ressent la nécessité profonde de son film»; «Est cinéaste tout réalisateur qui apporte une forme personnelle de narration et de mise en scène»…

Il serait pourtant injuste de réduire ce livre à un ensemble de lieux communs. Il peut être rassurant pour un jeune cinéaste de lire qu'il n'y a pas une «bonne» façon de faire du cinéma, mais que les voies de la réussite sont aussi nombreuses qu'impénétrables, et qu'on peut y parvenir par des moyens diamétralement opposés : certains metteurs en scène dorlotent leurs acteurs, tandis que d'autres les poussent dans leurs retranchements; les uns acceptent de discuter longuement d'une scène à tourner, là où d'autres se contentent de quelques indications sommaires. On trouve aussi au gré des pages des intuitions et des observations pertinentes, comme quand Frédéric Sojcher affirme que «le jeu de l'acteur rayonne à partir du moment où l'on sent chez lui une faille» ou qu'«il n'y a pas de film sans prise de pouvoir, sans chaos à ordonner». Et l'on ne peut qu'abonder dans son sens lorsqu'il dénonce l'influence des grands groupes de communication sur l'économie du cinéma contemporain, évoque l'«exception culturelle française» et ses limites, s'inquiète de ce que «l'horizon tel qu'il se dessine est de ne plus laisser la place qu'aux petits budgets et aux films-événements». Même si elles ont déjà été entendues, ce sont là des vérités qu'il n'est pas inutile de rappeler, si l'on veut qu'entre le «pur divertissement» et l'«expérimentation cinéphile», le cinéma arrive à trouver la difficile «troisième voie» sans laquelle un pan entier de notre culture risque de disparaître.