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Critiques de livres

André Stas
Entre les poires et les faux mages
Paris
éditions des Cendres
2008
169 p.

Une folie littéraire
par Thierry Horguelin
Le Carnet et les Instants n° 152

D'où ça sort? Voici quelques années, Jean-Bernard Pouy lança aux éditions Baleine une série policière sur le modèle du Poulpe, dont chaque épisode était confié à un auteur différent. Son héros, Pierre de Gondol, le plus petit libraire de Paris», s'y voyait confier par sa clientèle restreinte mais fidèle des enquêtes «dans le milieu interlope des textes». De livre en livre, notre «détective de l'Écrit, premier privé de l'histoire littéraire» exerça sa sagacité sur les oeuvres de Jim Thompson, Jules Verne, Rimbaud, Roussel, Perec, Léo Malet, Beckett et quelques autres. Huit épisodes parurent. Le neuvième, Entre les poires et les faux mages, allait être publié lorsque l'éditeur fut contraint de fermer boutique. Le voici exhumé du tiroir à malices d'André Stas par les bons soins des éditions des Cendres, dont il faut saluer et l'initiative et le goût parfait en matière de papier et de typographie.

Qu'est-ce que ça raconte? L'intrigue-prétexte tient sur une feuille de papier à cigarette. Dans sa petite échoppe, Pierre de Gondol prépare son prochain catalogue de curiosités littéraires, dans lequel une émule de Minou Drouet voisine divers théologiens frappadingues coupeurs de sexe des anges en quatre. Un vieil érudit bibliophile et un marchand de vins, plus occupé à boire son stock qu'à le vendre, fomentent un canular épistolaire à haut indice d'obscénité pour se venger d'une fromagère acariâtre. Autour d'eux s'affaire, dans un Paris de pure convention, une gale-rie de personnages pittoresques, aux airs de film français des années trente (voyez leurs noms : Fagot, Delcol, Laberlue ou Carrousse). Et, comme dans son Grand Karmaval, Stas adopte une construction polyphonique procédant par courtes séquences autonomes, où chacun à son tour assume la narration.

À quoi ça ressemble? À une parodie des Enfants du limon de Queneau, qui faisait pareillement se croiser une dizaine de personnages liés à leur insu les uns aux autres, et panachait le tout avec une enquête sur les fous littéraires, agrémentée de morceaux choisis. Sauf qu'ici, c'est le texte lui-même qui semble atteint de folie littéraire, de calembourite galopante et de fièvre pasticheuse. Entre les poires et les faux mages est en effet truffé, farci, dévoré même, de citations réelles ou truquées, de plaisanteries potaches, de jeux de mots subtils ou navrants et d'allusions pour happy few («Jaune, qu'ai-je?», s'exclame un personnage atteint d'ictère, et combien de lecteurs hexagonaux identifieront le sage Li-Zen?). Les pastiches hénaurmes se succèdent, où le bibliophage qu'est Stas donne libre cours à son penchant pervers pour le troisième rayon et la littérature inepte. Il flotte là-dessus comme un parfum de Paul Masson, dit Lemice-Terrieux, extraordinaire mystificateur de la Belle Époque, très admiré de notre auteur, qui établissait des fiches d'ouvrages imaginaires lorsqu'il travaillait au catalogue de la Bibliothèque nationale.

Même si Stas déclare in fine s'être allègrement payé la fiole du lecteur, l'amateur de polars regrettera malgré tout que le livre soit dépourvu d'intrigue criminelle, aussi minimale ou parodique soit-elle, qui aurait impliqué sa ribambelle de personnages et leurs recherches bibliographiques — d'où il s'ensuit une sensation de piétinement dans le dernier tiers. Un gouleyant pastiche (L'inspecteur Balbeur contre Formol l'insaisissable) prouve que notre homme aurait été tout à fait capable de réussir quelque chose de bien saignant en la matière, dans le genre feuilletonesque à la Fu-Manchu. Le friand d'ovni littéraires sera pour sa part à la fête, et se dira que Stas aurait pu, dans une vie parallèle, être le nègre d'à peu près tout le monde, de Peter Cheyney à Thérèse d'Avila en passant par les pornographes anonymes du Second Empire, et confectionner pour chacun du cousu main plus vrai que nature. À déguster à petites lampées, entre la poire et le fromage, comme le Mercurey qu'affectionne Pierre de Gondol. Vos proches vous entendront vous esclaffer tout seul, depuis la pièce d'à côté.