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Critiques de livres

Marie-Eve Stenuit
La Veuve du Gouverneur
Bègles
Le Castor Astral
2007
293 p.

Castor austral
par Thierry Detienne
Le Carnet et les Instants n° 147

Les colonisations furent affaires d'hommes. Le nom commun colon cherche d'ailleurs toujours son féminin. Est-ce faute d'exemples? Avec La Veuve du Gouverneur, Marie-Eve Sténuit choisit de remédier à l'oubli en nous présentant une page d'histoire par le biais du destin d'Isabel Barrero, épouse d'Alvaro de Mendana de Neira, chef d'expédition d'une 'équipée dEspagnols partis à la conquête des îles Australes pour le compte du roi Philippe II. La vie à bord d'un bateau est un huis clos redoutable et sans échappatoire possible autre que la mort. Les caractères s'y affrontent, exacerbés par l'attente de la terre ferme. S'agissant de contrées inconnues, nul ne sait combien l'attente durera. C'est l'occasion de nous rappeler les conditions incroyables dans lesquelles on voyageait par mer à la fin du XVIe siècle, l'omniprésence du danger en eaux inexplorées, les privations de nourriture et d'eau, la promiscuité harassante. Cette équipée sera celle du désastre : un des quatre vaisseaux disparaît sur des récifs et l'île enfin trouvée s'avère hostile sur tous les plans. Un rêve s'écroule et la déception est à la mesure des attentes qui justifiaient les privations. Des 350 personnes embarquées, il reste peu de monde à l'arrivée dans le port de Manille, après l'abandon de l'île. Et les cales destinées aux trésors promis sont vides. Par delà les péripéties multiples qui animent le récit, c'est avant tout le personnage de la Governadora qui habite ce roman. Femme altière et partisane des méthodes fortes, elle s'approprie les fonctions et prérogatives de son mari à sa mort. Elle entretient jusqu'au bout les différences et le cérémonial qui affirment sa fonction, s'accordant un droit de vie et de mort sur ses sujets, conservant des réserves de nourriture et d'eau douce alors que des passagers meurent de faim et de soif. Alors que le débat fait rage sur la manière de présenter le rôle des pays occidentaux dans le processus des colonisations, La Veuve du Gouverneur apporte un éclairage tout en nuances. S'il dénonce les excès évidents et le fondement contestable des conquêtes, il met aussi en évidence la multiplicité des approches au sein des colonisateurs, la grande difficulté de faire respecter un état de droit sans grand appui institutionnel. Et surtout le mépris des droits fondamentaux de ceux dont les richesses et la force de travail sont convoitées. Marie-Eve Sténuit laisse libre cours à son savoir d'historienne de l'art et d' archéologue, mais elle s'affirme aussi comme un collectionneuse de mots. Ce souci du travail bien fait, qui ne prend jamais le pas sur le plaisir du conte, fait écho au grand art avec lequel elle avait évoqué les difformités physiques dans Les Frères Y. L'exercice qu' elle vient de nous donner est certes différent, mais il confirme la stature et la maîtrise d'une écrivaine aux ressources multiples et qui n'a sans doute pas fini de nous étonner.