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Critiques de livres


Nathalie GASSEL
Stratégie d'une passion, fiction épistolaire - mails
préface de Pierre Mertens
Avin/Hannut
Luce Wilquin
2004
159 p.

Écrire avec le corps

Dans Stratégie d'une passion, son troi­sième livre, Nathalie Gassel déjoue l'antinomie éventuelle que pour­raient suggérer ces termes parce qu'en effet, elle mène une double entreprise. D'une part, elle veut, dans une correspondance, décrire son sentiment, son désir à l'objet de sa passion, un homme qu'elle a rencontré, qu'elle désire revoir et surtout à qui elle dé­taille par le menu la relation sexuelle qu'elle souhaite développer avec lui. De l'autre, elle poursuit avec acharnement un objectif de création littéraire : « tailler, avec des mots et des muscles, des concepts de la chair ». Stra­tégie existentielle et artistique à la fois : on peut se demander d'ailleurs si l'auteure n'est pas plus attentive au processus de création qu'à ce qui le motive et le nourrit, tant elle en explore les possibilités de réalisation lin­guistiques et expressives. À l'opposé de tant de livres qui, à ses yeux, composent « un immense cimetière », elle a l'ambition de modeler l'écriture de sa force et d'y incor­porer vivante la mécanique des instincts. Tout ceci résulte d'une intellection mais celle-ci se fortifie et s'exerce comme un muscle que l'on bande, car l'amour d'un corps et celui du texte vont de pair. On le voit, l'enjeu est élevé et l'exigence vitale, car il s'agit de braver et de vaincre définitivement l'interdit de réussir imposé dès l'en­fance, de conquérir enfin un public au re­gard de qui poser. Dans ses lettres, qu'elle définit comme « un journal de torture, de désarroi permanent », Nathalie Gassel en­tend montrer comment elle fait œuvre de sa chair, « la faisant jaillir du mental ». Elle y détaille aussi, outre sa mécanique efficace hypersexuée et sujet de plaisir, « une entité intellectuelle » : « un corps de réflexion qui gère sa violence fertile ». Comme de l'éga­lité naît l'ennui, la volupté chez elle se conçoit comme domination, possession to­tale du corps désiré qu'elle entend plier à sa volonté de puissance et soumettre à sa dévoration. Le féminin dans l'écriture prend donc ici une couleur particulière et reven­dique la distance, exige le respect, l'adora­tion et l'allégeance.

Nathalie Gassel indique en sous-titre à son livre « fiction épistolaire-mails ». Il s'agit bien d'une correspondance, mais comme Jacqueline Harpman dans Le temps des éphé­mères, elle choisit le courrier électronique, non pas pour s'y exprimer de façon laco­nique et utilitaire, comme c'est souvent le cas. Au contraire, le style y est soutenu, la forme épistolaire le cédant le plus souvent à l'analyse de soi ou à la réflexion qui s'y at­tache et qu'elle poursuit sans relâche. Le contenu fait davantage penser à un journal intime, que caractériserait cependant une grande rigueur. La mise en forme épistolaire ne se justifie que par les indications répétées du nom et de la signature du sujet, comme une constante affirmation de son identité et le soulignement de son autorité. En outre, grâce à la datation précise et détaillée (le jour et l'heure), elle permet de mesurer la fréquence et l'urgence des messages, ce qui a pour effet d'évoquer implicitement les cir­constances du message et de suggérer l'hu­meur et la tension de celle qui l'envoie. Bref, de communiquer l'extrême.

Jeannine Paque