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Critiques de livres


COLLECTIF
Apollinaire & Cie
Luc Pire
2002
121 p.

Je vous salue, Mareïe et chéries !

Sublime en ton ponant : sans doute ceux pour qui le poétiquement correct im­porte prendront-ils la poudre d'estampette (japonaise évidemment) devant ces courts et beaux textes courtois de Patrick Virelles rehaussés de huit hungas — ce sont des linos ! — de Yukié Uno, une artiste ja­ponaise qui dans son pays jouit également d'une importante réputation de scénariste cinématographique. Ces poétiquement prudes auront tort car on peut appeler un chat, un chat tout en restant inventif ! Mistigris faisait-il mystère de sa couleur et Zalem de son âge canonique de vieux ma­tou — Matousalem quoi ! — non, n'est-ce pas ? Laissons donc Patrick Virelles en sa pudeur crue célébrer la femme qu'il conti­nue d'aimer à longueur de vie et qu'il trouve plus que jamais sublime en son ponant. Lais­sons-le nous en faire découvrir — sans os­tentation rodomonte ni voyeurisme obscur ! — le blason du corps marqué des signes tangibles des fruits communs de leurs en­trailles. Depuis la vulve ourlée dont les lèvres ont posé le baiser de l'éveil sur de fraîches fon­tanelles en passant par les seins, trois fois sol­licités de leur lait généreux, le raidillon du ventre gravé par le scalpel césarien ou le giron consolateur pour arriver aux mains, à la bouche et à la nuque, jusqu'à ces yeux au­jourd'hui cernés d'un lacis de ridules où il se noie d'amour.


Ernest DELÈVE
Poésies
Le Taillis Pré
collection Ha !
2002
265 p.

Autant de brefs et délicats portraits de la femme aimée, adulée ! Ah ! chères lectrices du Carnet (je pense à vous) puissiez-vous trouver, à votre tour, le juste amant — légitime ou non ! — romancier ou poète, qui vous transporte de la sorte au septième ciel de votre couchant en évo­quant, aussi magistralement, vos inoubliables et solaires couchers ! Je vous le sou­haite d'autant plus que le chair ici n'est ja­mais triste et que vous n'avez pas encore lu ce livre qui ravira toutes les générations, tant par ses vers que par le travail éditorial et bibliophilique d'Alain Renier. Collec­tionneurs à vos marques car il n'y en n'a pas des masses !

Je vous salue, chéries, c'est avec La belle jour­née (1953) et Pura seta (1959) le titre de l'un des trois recueils publiés du vivant d'Ernest Delève que reprend en un volume, augmenté des textes parus en revues, le poète et éditeur du Taillis Pré, Yves Namur dans la collection Ha ! dirigée par Karel Logist et Gérald Purnelle, ouverte aux œuvres importantes mais peu connues, voire in­trouvables quand ce n'est pas inédites. Ha ! non pas comme le lait doublement vitaminé ou l'interjection incrédule mais tel le cri du singe cynocéphale du Faustroll de Jarry dont ce boulimique lecteur que fut Hubert Juin nous rappela en son temps qu'il était belge (le singe). Comme les poètes de cette collection (belge) qui après Françoise Delcarte, en effet, nous propose Ernest Delève, poète discret, solitaire et effacé dans sa vie comme dans nos lettres. Homme taiseux nous dit son — remarquable et émouvant ! — biographe, Carl Norac, mais qui cachait un incendie. Une voix désenchantée par la perte irréparable de l'enfance mais qui gar­de toujours ce besoin d'élévation ou ce désir d'atteindre à la féerie note encore Carl Norac, qui de ce point de vue rapproche Delève du Fernand Dumont de La région du cœur. Lieu d'élection de la femme, bien sûr, omniprésente et qu'il célèbre ou fus­tige : fée ou ange ; Circé, Ariane, Omphale ou Lou qu'il cherche en fervent apollinairien, princesse ou poupée selon ses propres termes ou encore Cloaqua Maxima, arpenteuse des grands boulevards. Ernest Delève est un homme qui jamais n 'écrivit pour briller mais pour être feu au-dessus de ses cendres, en revers de sa nuit ! Juste et magnifique for­mule de Norac. Bravo ! Bien vu, bien lu !

Mi crapaute, écrit à la jolie Marie Dubois celui qui s'appelle encore Wilhelm Apollinaris (comme l'eau qui fait digérer les briques) de Kostrowitzky, habillé en baron russe et qui, en cet été 1899, courtise chez nous la fille d'un petit café-friture de Stavelot qui elle même fréquente les répétitions du cercle théâtral local La Fougère qui se tiennent — suivrez mon regard ! — à la Pension Constant où — comme par hasard ! — est descendu avec son frère, le futur Guillaume Apollinaire ! Tout le monde connaît l'his­toire, il fallait donc la célébrer à l'occasion du centenaire de ce passage fagnard. C'est ce qu'ont fait Christian Libens et ses amis de la Nouvelle Fougère en sélectionnant des textes ou bribes de textes d'Apollinaire pour les envoyer, dans un premier temps, à des plasticiens à charge de les illustrer puis, dans un second mail, en adressant l'image et les vers qui l'ont suscitée à des auteurs pour boucler la chaîne. Le résultat donne un beau livre, bien fichu et singulier à la fois dont Bernard Lambotte nous rappelle, en ouverture, la genèse, lente mais sûre et at­tendue telle qu'espérée. Beaucarne, Izoard, Goffette ou Schmitz et Saenen en sont, avec Ransonnet et bien d'autres d'importance, venus du Grand Duché ou de Suisse même. Quant à l'acrostiche que Wilhelm dédie à Mareië (qu'on nommait Marèye à Stavelot) fallait-il lui préférer comme le suggère Fran­çois Duysinx un rabrèssîz-m' en wallon cor­rect plutôt qu'un rabrassez-mi en dialecte francisé, je dirais : peu importe pourvu qu'il l'ait bâhî notre belle bâcele !

Jean-Pierre Verheggen

Patrick VIRELLES, Sublime en ton ponant. Illustrations originales et traduction juxta­posée en japonais de Yukié Ono. Alain Re­nier éditeur à Ecaussinnes, 2002