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Critiques de livres


Frank ANDRIAT
Tabou
Espace Nord
Zone J
Editions Labor
2003
107 p.

Leçon de morale

Les adolescents et même les adultes qui avaient aimé La remplaçante et Mon­sieur Bonheur parus aux éditions Memor peuvent être contents, dans Tabou, ils retrouvent une partie de la bande d'ado­lescents qui leur était devenue familière. Sauf que ce n'est plus Raphaël qui mène le récit, mais trois de ses condisciples, tous concernés de près par l'événement qui ouvre le livre : Loïc, un des garçons de la classe, est mort. Suicidé. Pendu à une poutre de sa chambre. A cause d'une homosexualité mal assumée. Et cela va faire du ramdam dans l'école, provoquer des débats, mettre à mal quelques idées reçues et surtout perturber le déroulement des jours de trois personnages, ceux qui vont prendre le récit en main, cha­cun à leur tour : Réginald, qui est le premier à connaître les raisons du suicide de Loïc et ne peut, provisoirement, l'accepter, pas plus qu'il ne tolère que son plus ancien cama­rade, Philippe, soit, lui aussi, homosexuel ; Philippe, ami de Réginald donc, et à qui Loïc avait confié la difficulté de s'assumer, Philippe qui lui aussi se supporte mal, mais qui parviendra à s'accepter grâce à la troi­sième des narratrices, Eisa, celle dont l'oncle homo a fait un vrai travail sur lui-même, et lui a transmis les fruits de sa réflexion, de son parcours de vie, Eisa qui les offre à son tour à Philippe et à ses camarades de classe. Ce que l'on pourrait reprocher à ce roman, ce n'est évidemment pas le choix pertinent du sujet, grave s'il en est (le taux de suicide chez les adolescents homosexuels est alar­mant) ni la générosité avec laquelle il est abordé mais plutôt son penchant pour la dissertation. Frank Andriat a un peu trop tendance à limiter son texte à l'exposition d'une série d'arguments pour montrer que l'homosexualité (et les différences) doit être acceptée par la société. Il manque de roma­nesque dans ce roman. Et si l'on veut chi­poter un peu, deux idées nous semblent erronées : que parmi les parcours du com­battant de l'homosexuel, il y a le deuil à faire de l'hétérosexualité, comme si par exemple, pour être athée, il fallait faire le deuil de Dieu ; l'autre de ces idées réside dans la création du personnage de l'oncle (une idée de personnage plutôt qu'un per­sonnage) que l'on aurait peut-être aimé moins étriqué : puisqu'il est la figure mo­dèle qui permet à Philippe d'entamer son parcours d'acceptation, pourquoi ne pas avoir conçu quelqu'un qui a réussi à vivre son homosexualité au véritable grand jour, même à son travail ?

Ces remarques ne doivent pas empêcher les profs du secondaire de confier ce livre à leurs élèves. Il ne pourra que les interroger et leur montrer les ravages que peuvent provoquer les insultes, les blagues de mauvais goût, même quand elles ne sont adressées à per­sonne, juste entendues par qui fait partie de la catégorie des possibles injuriés, des do­minés. Mais il faut leur dire, à ces élèves, que vivre son homosexualité peut être plus simple, plus joyeux que cela.

Michel Zumkir