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Critiques de livres


Hugues LE PAIGE
Télévision publique contre World Company
Editions Labor
coll. Quartier libre
2001
94 p.

Pour une télé de service public

Hugues Le Paige est, entre autres choses, l'auteur ou le coordinateur de plusieurs ouvrages consacrés à des sujets brûlants (la télévision publique, l'extrême-droite, la question royale), ainsi que d'un essai, La minute de silence, portant sur la crise de l'information télévisuelle. Per­sonne n'était donc mieux placé que lui pour aborder le sujet du petit essai que publient aujourd'hui les Editions Labor. Un chapitre introductif, en forme de repous­soir, brosse le tableau d'une certaine télévision privée et de ses dérives. Vu à travers les excès de la real TV (« Big Brother », « Le Maillon faible » et leurs clones), le paysage audiovisuel qu'il nous dépeint n'a rien de très reluisant. Après ce saisissant « prégénérique », et un dé­tour historique (retraçant notamment la crise engendrée, au milieu des années 80, par la suppression du monopole), Le Paige en vient à l'objet central de son livre : quel avenir pour la télévision de service public ? Il rappelle uti­lement les quatre « piliers » sur lesquels elle doit s'appuyer — information, formation, culture et divertissement. Il pointe les écueils à éviter, notamment la dissociation entre cul­ture et divertissement, véritable coin que les tenants de l'ultralibéralisme tentent sans re­lâche d'introduire dans l'édifice afin de le faire éclater (à la télé publique la culture — sé­rieuse et peu rentable ; à la télé privée le diver­tissement et ses recettes publicitaires). Adaptant une formule célèbre d'Antoine Vitez, il prône une « télévision élitaire pour tous ». In­siste sur le fait que la RTBF doit rester une té­lévision généraliste et une télévision de pro­duction, notant au passage que son bilan est loin d'être déshonorant, surtout si l'on tient compte de la pauvreté relative de ses moyens. Pointe du doigt les deux tares principales qui grèvent son fonctionnement : le manque chronique de débat interne, qui aboutit à des décisions aberrantes et autocratiques, et son sous-financement non moins chronique. Pro­blème crucial, auquel il propose d'apporter une solution simple, du reste en vigueur dans d'autres pays : attribuer à la télévision natio­nale le montant de la redevance — toute la redevance, rien que la redevance. Trop simple ? Oui, sans doute, dans un pays où le compromis est roi, où tout est affaire d'équi­libres subtils mais quelquefois absurdes, où les nominations politiques l'emportent trop sou­vent sur le talent et la compétence. En résumé, un travail de bûcheur, qui dé­laisse le brio de certains essais « à la fran­çaise » pour lui préférer une approche solide­ment documentée, offrant à la fois une synthèse remarquable des questions abordées et un point de vue critique, argumenté, un brin moralisateur (et pourquoi pas ?). Bien que s'appuyant le plus souvent sur l'exemple de la télévision belge, il ne manque jamais de faire état de la situation des autres chaînes publiques européennes, et de souligner au passage les différences, parfois considérables, qui existent d'un pays à l'autre. Terminons par un regret formel — mais non de pure forme : la maquette intérieure est tout bonnement affligeante. Est-ce parce que cet ouvrage (ou la collection qui l'héberge) a un caractère engagé qu'il doit « bénéficier » d'une mise en page aussi tristounette ? Dom­mage, vraiment, qu'un éditeur qui entend se­couer le cocotier des idées reçues ne semble pas réaliser le profit qu'il y aurait à tirer d'une esthétique un peu moins vieillotte...

Daniel Arnaut