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Critiques de livres

Fantasme fiction

La maison d'édition numérique ma­nuscrit.corn a pour vocation de pré­senter au public des manuscrits de qualité détectés par un réseau de 150 li­braires ou critiques et relevant de tous les genres, de la poésie au polar en passant par l'histoire, le cinéma ou l'érotisme. Non content de les diffuser sur Internet, elle édite nombre d'entre eux tels quels, dans l'urgence, sans opérer de travail éditorial. On peut s'interroger sur le bien-fondé de cette démarche : les livres ne manquent pas et, plutôt que de larges réseaux anonymes, les lecteurs ont besoin, me semble-t-il, d'éditeurs sévères et audacieux, triant im­placablement les manuscrits et poussant les auteurs à donner le meilleur d'eux-mêmes. Mais laissons-la ce débat et penchons-nous sur une publication « papier » de cette mai­son numérique : un recueil de nouvelles de SF intitulé Terrestrial Parade. Alors que la plupart des écrivains de manuscrit.com sont de parfaits inconnus, c'est à Alain Dartevelle, auteur d'une dizaine de livres, que nous devons cette livraison. Recueil composé de sept courtes nouvelles et d'un texte plus long, Terrestrial Parade bénéficie d'une grande cohérence, l'imagi­naire de Dartevelle tissant et retissant une toile serrée, sans jamais négliger le moindre fil de ses récits. Presque tout est dépaysant dans la collection d'univers qu'il nous pré­sente. De plus, à l'intérieur même de ces mondes inhumains, rêve et réalité, repré­sentation et réel, présent et passé, vie et mort se mêlent volontiers, de sorte que l'univers de référence (notre existence nor­male de lecteur) s'éloigne au fil des para­graphes. A part dans le dernier texte, « Vi­trines », qui fait songer à certaines dérives télévisuelles voyeuristes d'aujourd'hui, la SF de Dartevelle n'est pas basée sur une projec­tion du présent dans l'avenir. Elle ne sert pas à dénoncer les dangers futurs qui mena­cent l'humanité. Elle est au service de l'ima­gination de l'auteur, qui peut, sur l'écran vierge d'un monde indéterminé, projeter li­brement ses fantasmes. Ceux-ci ne s'écri­vent pas à l'eau de rosé et, comme le montre « Terrestrial Parade », le texte le plus long du recueil, ils peuvent assurément être qualifiés de sadiques. Ma préférence va aux récits brefs, dans les­quels ce sadisme fantasmatique ne s'exprime pas de façon brute. Ces récits présentent en outre l'avantage d'aller droit au but, la pré­sentation de l'univers neuf épousant l'avan­cée du récit, tandis que, dans « Terrestrial Parade », l'univers est d'abord posé avant que l'action proprement dite ne démarre. Certaines de ces courtes nouvelles sont fortes, comme « Ego puissance X », dans la­quelle un vieil homme donne son corps à la science dans l'espoir de devenir immortel... Reste à parler de la qualité matérielle du livre et des « imperfections » dont se dé­douanent à l'avance les éditeurs. A part quelques mots répétés par erreur et un hor­rible belgicisme utilisé à deux reprises (« trop » + adjectif « pour » + infinitif), le texte est tout à fait présentable : Alain Dartevelle soigne ses manuscrits.

Laurent Demoulin

Alain DARTEVELLE, Terrestrial Parade, manuscrit.com, Paris, 2001