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Critiques de livres


Jacques BREL
Textes et chansons, mis en images par Gabriel Lefebvre
La Renaissance du Livre
novembre 2001
Les textes ont reçu l'imprimatur de la Fondation Jacques Brel
160 p.

Bien que les fleurs soient plus présentables...

Impossible de dissocier les textes de Brel de sa voix, du grain de sa voix, de ses ac­cents et de ces torsions de mots qui ne sont qu'à lui. Soient devient somment, mot tordu, torturé, devient terroir, devient per­sonnage dans la bouche du Grand Jacques. Les lettres valsent et deviennent des êtres que nous voyons bouger, parler, exister. Il n'y a peut-être qu'Arno pour chanter Brel sans l'imiter mais en donnant aux textes au­tant d'épaisseur, de fiction, d'existence qu'à l'origine. Et pour une reprise réussie, com­bien de désastres ?

Voici, avec un petit ouvrage publié à la Re­naissance du Livre, l'occasion de pénétrer directement dans l'univers lyrique de Jacques Brel. 58 chansons célèbres, écrites de 1953 à 1977, et quelques textes vous at­tendent couchés sur un beau papier crème qui accueille également les images, à l'aqua­relle et à l'encre de Chine, inspirées à Ga­briel Lefebvre par les histoires du poète. On retrouve au fil du temps les images stylisées, un peu à la manière d'un Folon ou de Peynet, des morceaux de vie qui nous trottent en tête depuis des décennies. La silhouette de Sancho sur son âne, celle de Mathilde et de son amour en cage, celle du poète les bras levés pour protéger toutes les colombes multicolores des velléités guerrières, celle du grand Jacques les bras chargés de lilas qui attend au pied du réverbère Madeleine qui n'arrive pas. Dans les bleus et les transpa­rences d'un ciel étoile, Don Quichotte brûle encore pour atteindre l'inaccessible étoile ; Madame promène son cul sur les remparts de Varsovie dans une débauche de couleurs tendres ; chez ces gens-là, le père regarde toujours son troupeau manger la soupe froide ; Jef n'est pas tout seul puisque Brel l'accompagne chez la mère Françoise ou la madame Andrée ; les bigotes vieillis­sent à contre-jour de petits chiens en petits chats, au pied d'une croix, avant de s'envo­ler, une auréole et deux bouts d'aile dans le ciel qui n'existe pas...

Gabriel Lefebvre a dessiné des affiches pour le théâtre, la danse, le cinéma et il a exposé au Sénégal, au Canada, en France et en Bel­gique ou au Vietnam. De 1999 à 2001, il a publié à la Renaissance du Livre plusieurs ouvrages comme La flûte enchantée (sur un texte de Pierre Coran), Les fables de la Fon­taine ou Arthur Rimbaud. Ses visions des textes de Brel sont tendres, elliptiques, transparentes, presque. On peut sans crain­te raconter Brel aux tout-petits au fil de leurs teintes pastels. Si on ne connaissait pas la cruauté de certaines descriptions du poète, la violence de certains de ses propos, on pourrait presque trouver cela trop joli, trop poli pour être honnête. Mais il y a les textes et leur terrible puissance d'évocation. Disons-le crûment comme celui qui lit par-dessus mon épaule : Putain, quel poète ! Pas besoin d'avoir cent ans pour vi­brer à ces évocations et aux langueurs ou aux violences des mots. L'univers de Brel est tel­lement dense, tellement fort, tellement vrai, tellement vivant qu'aujourd'hui encore, à tous les âges, on peut craquer pour lui. Cha­cun avec ses mots, ses rêves, ses couleurs, ses soupirs et ses illusions. N'est-ce pas cela, une éternelle jeunesse ?

Nicole Widart