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Critiques de livres

Vincent Tholomé
Tout le monde est quelqu'un
Montréal
Rodrigol
2007
118 p.

Quelqu'un
par Jack Keguenne
Le Carnet et les Instants n° 148

Ce qu'il y a de réjouissant avec la poésie, c'est que depuis qu'elle est sortie du carcan de la structure classique, elle réussit à s'imposer à travers de multiples formes, le seul critère de jugement de sa qualité n'étant plus que son adéquation au fond de son intention. Evidemment, cela déroute ceux qui pensent que les poètes vont à la ligne beaucoup plus tôt que les prosateurs, non sans avoir laissé une (ou plusieurs) syllabes finales reconnues, à la fois, par l'œil et par l'oreille.

Graphiquement, le poème ne s'identifie plus comme tel, sur sa seule forme plastique. Et pour la musique, on sait que le XXe siècle a vu se multiplier les expériences qui ont montré combien le bruit – plutôt que le mouvement harmonieux – était générateur d'émotions. Autant d'approches que certains jeunes poètes d'aujourd'hui ont, non seulement comprises, mais également intégrées et transcendées pour produire une forme qui, quoi qu'on en pense, n'est pas surintellectualisée, mais, au contraire, vibre au plus près du rythme usuel de la vie et de son contenu d'émotions. À cet égard, Vincent Tholomé est plus que poète, non pas parce qu'il n'existe aucune autre catégorie dans laquelle le ranger, mais parce qu'il invente la forme la plus appropriée pour exprimer ce qu'il cherche à dire. Cela pourrait se présenter comme une forme de théâtre minime, un condensé de vie(s) – quoique j'invite qui ne l'a pas encore entendu lire ses textes à aller l'écouter pour sentir quelles résonances il fait vibrer dans son phrasé – ou un jeu sur l'état des choses ou des personnes saisi dans son moment.

The John Cage experiences – 8 solos, duos ou trios (avec choses)
Reims
Le Clou dans le fer
2007
60 p.

Sans doute, Tholomé est-il un enfant d'Oulipo qui, à défaut peut-être de s'imposer de strictes consignes d'écriture, envisage néanmoins de construire ses livres selon une architecture déterminée. Mais ce qui frappe chez lui, ce n'est pas tant la construction littéraire que le vif respect qu'il a des personnes, de ces vies humaines qu'il croise et dont il croque les aspects dans Tout le monde est quelqu'un. Dans ce recueil, il retrace – esquisse poétique en vers libres – une rencontre, puis reproduit, dans une seconde partie, le débit torrentiel de ce que doit être la pensée de ce quelqu'un(e) à cet instant – en forme de prose. Le livre propose 24 catégories de ces gens, depuis ceux qu'ils croisent dans les transports en commun jusqu'à ceux qu'il aurait pu ne pas rencontrer en passant par ceux « qui sont désespérément comme vous et moi». La liste ne donne pas le tournis, elle transcende le quotidien.

Cela nous importera peu que John Cage ait, ou non, vécu effectivement les événements que Vincent Tholomé lui attribue et qui sont censés se dérouler en 1935. L'importance se tient dans la possibilité du poème de ressembler à la réalité (et à la fluidité d'une pensée), fût-elle mise en scène, plutôt que dans le respect de l'historicité. Le poème n'est qu'irruption du vraisemblable. Et Tholomé creuse superbement dans nos représentations idéales d'une vie dont chacun cherche à exhausser le cours.