pdl

Critiques de livres

Tôt ou tard, d'ici au Québec, aller et retour

Chaque année, l'Agence Québec Wal­lonie Bruxelles pour la Jeunesse à Montréal et la Direction des Lettres et du Livre du Ministère de la Communauté française Wallonie-Bruxelles concrétisent un échange littéraire en proposant aux jeunes écrivains des deux pays de plancher sur un thème imposé. Tôt ou tard : la livraison 1999 joue sur la notion de temps. Tôt ou tard : la vie, la mort, que l'on donne, que l'on se donne ou qui vous prennent, ryth­ment les huit nouvelles, quatre belges, quatre québécoises. Rien de léger ni d'ano­din, dans ces huit textes sélectionnés par un jury international parmi quelque quatre-vingts manuscrits.

Du côté Wallonie-Bruxelles, Délai, le récit de Dick Tomasovic, ouvre le recueil dans le bruit des locomotives et l'ambiance des dé­parts ferroviaires, entre quai humide et cafétaria plutôt glauque. Huit heures pour attra­per enfin, de justesse, un train international qui n'arrête pas de se dérober, de le renvoyer aux étroitesses de la vie et de la petite ville de province qu'il veut quitter. Huit heures, cinq trains et tous les fantômes du passé qui tentent de le retenir... Tomasovic brosse maints et maints portraits en quelques mots, quelques images, toutes les errances et les désarrois des voyageurs sont là, en face de nous. Un récit simplissime et bien mené. Avec La mort quand elle veut, une surprise : c'est Christine Aventin qui renoue avec l'écri­ture... Une écriture nerveuse, incisive, les mots vifs et cinglants pour dire la haine dé­vastatrice, la haine tueuse. Le pardon impos­sible, l'océan de rancœur livré, là au nord, le plus possible, sur la plage de sable fin, le jour où son père, « à l'ivresse bavarde et la mé­moire courte », est en train de mourir. Un su­perbe tourbillon d'émotion, une gerbe de mots portés par l'énergie tumultueuse du désespoir.

Damien Ruault nous emmène en Ardenne. Cache-cache nous fait découvrir les douleurs d'un héros très personnel face à la maladie de son frère Matthieu, que la famille vou­drait tantôt guérir, tantôt cacher ; il aime­rait, lui, tuer, cette trisomie qui clame leurs différences.

Otto Ganz écrit à un ami qui se meurt len­tement dans une chambre blanche, il écrit les morsures que le temps porte sur lui, iné­luctablement.

Si l'on se tourne du côté de la Belle Pro­vince, l'histoire contée par Julie Bouchard dans Reste avec moi fait froid dans le dos. Elle décrit les instants fragiles d'une petite fille dont la mère vient de mourir. « Une mère qui meurt est un ange, et la maison d'un ange est un endroit de repos. » La pe­tite fille habite un univers complètement dévoré par les fausses peurs qui masquent, comme elles peuvent, le vrai désespoir. Et la peur du noir finit par l'emporter. On est profondément touché par ce récit très fort et très beau dans sa cohérence. Isabelle Marquis mélange dans L'Instant magique le merveilleux des contes d'enfance et la détresse qui accompagne la maladie in­curable d'un enfant.

Eva, l'héroïne d'Isabelle Gagnon, trouve au bout Des semaines de silence l'espoir d'une nouvelle vie en écho à la mort de Monique, son amie.

Seule à affronter le temps sans la tension vive des drames de vie et de mort, seule à décliner le temps des petits moments impal­pables du quotidien, Catherine-Anne Lalonde saisit au vol la frêle cassure d'une ren­contre fugitive dans le métro avec un homme qu'on pourrait appeler son premier amour, perdu, pas tout à fait oublié...

Etrange : des deux côtés du grand océan, l'inspiration puise aux mêmes sources. Est-ce le jeu du thème, est-ce le choix du jury qui imprime sa marque ? L'heure ne semble pas à la gaieté, l'écriture se déploie semblablement dans les tourments et les souf­frances de part et d'autre de l'Atlantique...

 Nicole Widart

Tôt ou tard, 8 récits, L'instant même, Les Eperonniers, 1999.