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Critiques de livres


Jacques VANDENSCHRICK
Toujours le vent visite les bannières
Cheyne Editeur
Le Chambon-sur-Lignon
1991
56 p.

Discrétion et résonance

JACQUES VANDENSCHRICK  est un poète triplement discret. Il publie peu, et seulement des livres longuement, soigneusement mûris. Il se tient éloigné des tapages mondains ou média­tiques, comme craignant tout ce qui relève d'un vain paraître. Son écriture, enfin, ne vise ni éclat ni effets faciles : elle est empreinte d'une retenue et d'une douceur où filtre souvent quelque nuance de tristesse. Tel est le cas de son troisième recueil. Toujours le vent visite les bannières, à la thématique plus unie que les précé­dents. Ce qui surplombe ces pages n'est autre que l'idée de la mort, mort de l'autre, de l'être cher, longtemps familier, qui un jour s'est irrémédiablement éloigné. L'auteur se livre à une longue rêverie, ou mieux à un questionnement sur cette énigme que constitue la disparition des proches, leur devenir au-delà de la mort, et surtout cette relation singulière qui demeure entre vivants et absents, rem­plaçant à sa façon la réciprocité active de jadis. On assiste donc à une sorte de creusement, d'ajustement progressif des formules, comme pour tenter de cerner au plus juste ce qui ne cesse de s'échapper : s'ils erraient à notre recherche", "n'osant pas revenir", "eux que nous avons laissé errer sans nous", "ces visitants qui ne répondent pas"... Et le poète de souhaiter "accueil, accueil à l'âme des enfuis", ache­vant sur une note conclusive : "apprends l'art de quitter". Mais ce petit livre grave n'est pas sans couleur ni saveur. De nom­breuses images (l'herbe, l'oiseau, le col de montagne, le givre, l'eau...) viennent s'entremêler à la méditation, non pour l'orner mais pour la nourrir, lui donner son volume et son pouvoir de résonance. Parmi elles domine le motif du souffle, avec ses grandes espèces que sont la voix, la respiration, et surtout le vent, qui est la respiration du monde, et fait vibrer les drapeaux, les linges, les champs de blé. Ainsi l'air devient-il comme la voix des disparus, ou moins encore : le signe de leur présence imperceptible, du peu à quoi leur être aujourd'hui s'est réduit. Il n'y a, dans le recueil de Vandenschrick. ni mièvrerie, ni mélodrame, ni pensivité encombrante. Outre la dimension méta­phorique, le texte joue constamment sur les trois registres du "je", du "tu" et du "il", preste échange de rôles où se déjoue le piège du monologisme. Il est fréquemment allocutif, que ce soit sous couleur d'apos­trophe, de question, de demande. Il té­moigne d'une incertitude qui n'est pas uniquement un vacillement du savoir, mais traduit un sens profond de la fragilité, telle cette "lanterne minime qui grelotte aux frontières". Le cheminement poétique de Vandenschrick est une approche des bords extrêmes, du tremblement de l'être. C'est là sans doute que réside sa rareté - sa parenté avec les plus grands.

Daniel LAROCHE