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Critiques de livres

Un film sans images : « Tout est possible. »

Lorsque le possible n’ habite pas ton jardin. l'improbable frappe à ta porte, dit un proverbe chinois. On fait ce qu'on veut des proverbes chinois, mais Marcel Mariën. qui passa dix-huit mois chez Mao. sait aussi qu'on les retourne comme un gant. Réalisateur, en 19^9. de L'imitation du cinéma, film dont le budget de production était inversement proportion­nel au scandale qu'il suscita en Belgique et en France, qui encourut les foudres de la presse catholique et de certains critiques de cinéma, avant de trouver, vingt ou trente ans plus tard, une audience nettement plus enthousiaste. Marcel Marïen n'avait pas l'in­tention de faire carrière dans le 7ème Art. Aujourd'hui encore, il considère que son film était raté du point de vue cinématogra­phique. Mais, tournant la manivelle dans une direction davantage subversive que Magritte — qui réalisa pour son plaisir de pe­tits films amateurs prolongeant l'univers de-son oeuvre picturale —. Mariën n'imaginait pas que ses débuts dévastateurs suscite­raient la curiosité d'un directeur de théâtre parisien. Fort de son succès sur les planches avec Irma la doua. René Dupuy commandait un scénario au réalisateur de L'imitation du Cinéma. Et. France Roche l'apprenait aux lecteurs de France Soir du 20 avril 1961. il s'agirait d'une histoire d'amour comique (sic) avec Michel Serrault dans le rôle principal. Côté féminin, on tâta -en tout bien tout honneur- Romy Schnei­der. Annie Girardot. Emmanuelle Riva aurait ravi dans ce dialogue, pastiche d'Hiroshima mon amour : «  — Azincourt, voilà ton nom. — Oui. Azincourt, c'est moi. Ton nom à toi. c'est Pontoise. Pontoise en France. - C'est Micheline Presle qui finalement devait dé­crocher la timbale. Jean Poiret. Louis de Fîmes étaient pressentis. L'événement s'an­nonçait grandiose, le scénariste travaillai! sans relâche, modifiant et bousculant le sy­nopsis original, qui tenait beaucoup du roman photo, pimenté, comme il se doit, de clins d’œil, d'allusions, de gags faciles et de scènes volontiers « non-sensé ». Mariën usai! peu du dialogue, préférant l'ellipse, le téle­scopage des plans, aux longueurs. Mais le meilleur du film ne tenait-il pas dans son titre ? Tout est possible c'était un homme, une femme, un soir, un train et un roman-photo, prétexte à une aventure oni­rique qui aurait pu inspirer Jean-Claude Carrière et Bunuel. Le possible cependant désertai! chaque semaine un peu plus le jar­din du producteur, au point que Mariën dut convenir, en définitive, que 1 improbable campait solidement devant sa porte. Il ne reste de ce film sans images qu'un scénario de deux cent pages, tiré dans plusieurs di­rections, création hybride dont on devint qu'elle n'aurait pas eu la violence de L'Imi­tation du Cinéma, et dont la réalisation concrète semble désormais vouée à l'impro­bable.

Guillaume MALHERBE

Marcel MARIEN. Tout est possible. Les Lèvre; nues. 1992, 250 p.