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Critiques de livres

Annemarie Trekker
Les mots pour s'écrire, Tissage de sens et de lien
Paris
Éd. L'Harmattan
2006
167 p.

Comment parler de soi
par Jeannine Paque
Le Carnet et les Instants n° 146

À cela qui pourrait sembler une question le livre d'Annemarie Trekker, Les mots pour s'écrire, qui exposent le Tissage de sens et de lien, apportent une série de variantes, tant sous la forme d'interrogations judicieuses que de réponses adéquates. L'auteure sait de quoi elle parle et maîtrise la manière d'en parler, riche d'une longue pratique d'écriture de soi et de stimulation de l'écriture chez les autres. Elle a, en effet, une longue pratique d'animatrice de ce qu'elle appelle des «tables d'écriture», ces lieux où se pratiquent la réflexion sur soi, sur ses racines, son histoire, ses projets et où, finalement, le participant motivé – impétrant, profane, apprenti, comme on voudra – devient un producteur de texte, écrivant le récit de sa vie. Outre ces deux formes d'expérimentation personnelle, Annemarie Trekker est encore qualifiée pour traiter cette matière du fait de sa formation de sociologue, de sa pratique en psychologie clinique et de ses recherches théoriques ou concrètes en matière d'écriture autobiographique, littéraire ou non. La présente étude est organisée de façon méthodique. Après une introduction qui est à la fois l'exposé de la ligne directrice et se veut une déclaration d'intention, quatre chapitres exposent et confrontent une mise au point liminaire, conceptuelle, forte des savoirs en présence, avec une enquête auprès des personnes concernées et leur témoignage. Chacun de ces chapitres est consacré à un aspect différent.

Jean-Claude Legros
La dernière fois
Charleroi
Éd. Couleur livres
coll. Je
2006
119 p.

Les motivations et fonctions de l'écriture sur soi; le processus narratif ou les modalités de l'écriture; ce que le récit de vie rencontre de l'histoire familiale et de l'histoire sociale et l'organisation thématique de ce travail sur soi que représente toute entreprise d'écriture autobiographique. Un chapitre est alors consacré à l'évaluation des effets de la rédaction d'un récit de vie et l'auteure tire les conclusions de ses expériences propres et des enseignements extérieurs, avec toujours la précaution de réserve, la part laissée à l'individualité, au choix et à la discrétion. On parlera souvent d'échanges de plein accord – il existe un «contrat» de participation – plutôt que de directives d'un côté ou d'apprentissage de l'autre. Le mérite essentiel de ce livre est probablement qu'il valorise l'interrogation sur soi, sur ses origines, sur son histoire et surtout met en avant le travail qui consiste à agencer tout cela en mots, en texte. Il vise donc en définitive la création. Se raconter signifie certes que l'on s'expose au regard de l'autre, que l'on affiche sa vulnérabilité, ses faiblesses parfois. Le caractère collectif de cette exhibition peut l'augmenter ou au contraire l'atténuer, l'important est de respecter l'individualité des réactions à ce phénomène, que devrait garantir le particularisme de chaque passage à l'écrit. L'auteure ne néglige pas pour autant le caractère impératif du travail sur la forme, soulignant toujours la distinction entre le littéraire et le non-littéraire. À cet égard, Trekker connaît ses auteurs et puise dans leurs œuvres de nombreux exemples, tant signifiés que signifiants, qui illustrent du récit de vie tantôt le parcours sociologique et psychologique tantôt le choix d'une voix propre, deux aspects qui structurent l'identité.

La collection «Je», que dirige Daniel Simon aux éditions Couleur livres fait évidemment la part belle au récit de vie. Le Carnet et les Instants a déjà, dans un précédent numéro (le 143), rendu compte du livre de Vincent Deraeve, L'usine. Voici que paraît dans la même collection un récit tout différent, de contenu et de forme, quoique toujours en je non équivoque. Ce qui est curieux dans ce texte, La dernière fois, c'est que pour parler de soi, pour écrire sur soi, Jean-Claude Legros parle des autres, comme s'il ne pouvait se mesurer, se connaître que par ces détours. Détours-retours en quelque sorte, car ces «autres» ont fait ou font encore partie de lui-même. Chacune de ces dernières fois – il y en a seize – est l'occasion d'une rencontre, alors qu'il s'agit aussi d'évoquer la perte, la disparition d'un être cher, si l'on s'exprime platement. Or c'est tout le contraire chez Legros. Non qu'il évite les tournures familières, les plaisanteries un peu grosses, les jeux de mots un peu faciles, parce qu'il aime nous «avoir», comme il le souligne. Il joue avec notre sérieux comme avec la dureté, avec la peine. D'ailleurs, «les pertes ressemblent aux retrouvailles», dit-il. C'est là le ton personnel de ses textes qui énumèrent des séries, comme le font les litanies, qui répètent des fragments, que rapprochent des sortes de rimes inattendues, qui retournent les formules toutes faites. Ils ont tous en commun une «dernière fois», «la» dernière fois, puisqu'il n'y en qu'une : les yeux qu'on a vus ainsi, on ne les verra plus. Et pourtant le texte les a absorbés et les maintient en vie. Au commencement, le lecteur peut croire qu'il va pleurer au long de ces pages de deuil, sur la mort, la perte, la pauvre vie aussi, ce qu'on appelle la «condition humaine». Il n'en sera rien, car, de tous ces yeux disparus mais retrouvés par la grâce du souvenir et de l'écriture, il sort beaucoup de tendresse et d'humour.