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Critiques de livres


Yvon GIVERT
Un billet pour l'Australie
Luce Wilquin
1995
96 p.

Miroirs sans tain

Que s'est-il passé ? Décidée à se mettre au vert, Carole Dance, l'ac­trice bien connue, a-t-elle réelle­ment entrepris de retrouver la mystérieuse île des Mutants, ou a-t-elle rêvé ce voyage ? En ce cas, quand s'était-elle endormie, à quel moment s'est-elle réveillée ? Il en va ainsi dans les nouvelles d'Yvon Givert. Non seulement on n'apprend jamais ce qui s'est vraiment produit, mais on se demande s'il est arrivé quelque chose, fût-ce dans la tête du héros. Tout au plus entrevoit-on une en­trée dérobée vers un monde parallèle qui double le nôtre. Cher entre tous à la littéra­ture fantastique, Le thème du double, du sosie, hante tout le recueil. Yvon Givert le travaille à sa manière, qui est elliptique, nerveuse, rapide, en phase avec la fébrilité qui anime fréquemment ses personnages. Rien n'est plus actif que le délire d'interpré­tation. Dans « L'Enigme de Dresde », c'est à coups de meurtres en série qu'un timbré cherche à plier le sens de l'univers à une équation mathématique. Alors, une succes­sion de signes se nouent les uns aux autres dans une atmosphère de faux roman poli­cier, où le double tient le pari paradoxal de la similitude et de l'étrangeté. On ne sait ja­mais qui l'on rencontre dans son miroir. Croyant affronter l'autre, c'est soi-même que l'on croise, au risque de la schizophré­nie. Bientôt, le tueur n'est autre, à son insu, que le témoin du meurtre. Ce qui se déploie ici, c'est moins l'énigme d'une ressemblance que la mise en question, en scène, du reflet. Le monde et ses dessous sont comme l'envers et l'endroit d'un même ruban de Moebius, le réel se retourne comme un gant et expose sa doublure, mais celle-ci n'a pas de « fond ». L'univers d'Yvon Givert n'est le théâtre d'aucune ré­vélation, d'aucun sens caché sous la trame serrée des apparences. Les personnages n'ont aucune opacité. Ils sont parfaitement transparents. Ils n'ont rien à cacher et n'ar­rêtent pas de s'expliquer. S'ils se perdent, c'est en pleine lumière, lorsque, pris de ver­tige ou de distraction, ils laissent se défaire la cohérence de leur personne. Ils sont, à la lettre, hors d'eux-mêmes.

Thierry Horguelin